Le marché du streaming a explosé depuis l’arrivée sonnante et trébuchante de Netflix. Roi du monde du haut de ses 100 millions d’abonnés, le géant américain a inspiré une équipe de farouches défenseurs du 7e art de lancer leur propre plateforme : E-Cinéma.

Où je veux, quand je veux

En seulement 20 ans, Internet a complètement refaçonné notre façon de consommer la musique (Spotify), les séries (Netflix), et même les jeux vidéos (Steam). C’est un fait : la tendance est à la dématérialisation. Les consommateurs d’aujourd’hui ne songent qu’à une chose : s’affranchir des contraintes physiques. Avec l’ATAWAD pour seul mot d’ordre (« Anytime, Anywhere, Any device »), ils souhaitent pouvoir consommer quand bon leur semble, où bon leur semble, et sur le support de leur choix. Des exigences devenues la norme depuis l’arrivée de Netflix.

Au 70e Festival de Cannes, l’Américain a ébranlé le monde du cinéma quand il a foulé au pied l’implacable chronologie des médias : Meyerowitz Stories et Okja, ses deux films en lisse pour la Palme d’Or, ne sortiront pas dans les salles obscures et seront uniquement disponibles pour les abonnés. La vague d’indignation suscitée par ce coup de trafalgar n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ce jour-là, Netflix a fait bien plus qu’hérisser les poils des puristes : il a ouvert la voie à la dématérialisation du cinéma.

 

Le train en marche

C’est en partant de ce postulat que Frédéric Houzelle (patron d’Atlantis Télévision) et Roland Coutas (PDG de Travelprice) ont eu l’idée de créer E-Cinéma. Chaque année, ce sont près de 700 films qui s’exportent dans nos salles. Et en dépit d’une offre pléthorique, la moyenne de films par Français est extrêmement basse : 3,2 par habitant – et par an. Un chiffre directement lié aux contraintes géographiques, familiales, et économiques que n’auront pas à subir les futurs abonnés de la plateforme.

Décrété jour des sorties en salles par les exploitants depuis 1972, chaque mercredi cristallise les attentes, les espoirs et les craintes de millions de cinéphiles. Un incontournable rendez-vous cinéma dont se sont inspirés les deux hommes d’affaires : ils vont faire du vendredi LEUR jour de sorties. Mais plutôt que les proposer en un flot ininterrompu, ils vont les relâcher au compte-goutte, à raison d’un film par semaine. Le but de E-Cinéma n’est pas de concurrencer ni supplanter les sales de ciné traditionnelles mais bel et bien d’instituer un nouveau rendez-vous cinéma. Et pour ce faire, ses créateurs disposent d’une arme redoutable : Bruno Barde.

« Je préfère que mon fils lise Proust sur une tablette, plutôt qu’il ne le lise pas du tout. » Bruno Barde

 

Là où il y a de l’Indé, il y a de l’espoir…

Bruno Barde, c’est le troisième homme du projet E-Cinéma : directeur du Festival du Film Américain de Deauville, directeur du Festival International du Film de Marrakech, directeur du Festival du film Asiatique… Bref, il aime le cinéma. C’est donc à lui que MM. Houzelle et Coutas ont confié la ligne éditoriale du site – comprenez le choix des films proposés aux abonnés. Et c’est précisément sur le lineup que E-Cinéma se démarque des autres plateformes de S-VOD.

L’idée du trio est audacieuse : seuls les films n’ayant pu bénéficié d’une exploitation dans les salles françaises seront proposés sur la plateforme. Là où les cinémas misent avant tout sur la rentabilité (comédies populaires et blockbusters américains), E-Cinéma va privilégier des films indépendants, lauréats de festivals étrangers. Des oeuvres jugées trop « intellos » ou « inadaptées » au marché français et demeurées inédites. Issus de tous horizons – Australie, Iran, Scandinavie – et de tous les genres – polars, action, drame – ces films hébergés par E-Cinéma ont tous été boudés par les salles françaises. Ce serait presque un gage de qualité…

« Les films laissés de côté  le sont davantage pour des raisons économiques que qualitatives. » Bruno Barde

 

Du consommer autrement à consommer autre chose

Les trois hommes aiment le challenge. La création d’un site de S-VOD ne leur suffisait pas, il fallait rendre le projet plus périlleux encore. En adoptant une ligne éditoriale aussi exigeante que marginale – comparée à ce que diffusent les salles – MM. Houzelle, Coutas et Barde ont fait de E-Cinéma un pari aussi noble que risqué. Oui, miser sur un public averti et fin connaisseur du 7e art est un pari très risqué : rien ne laisse présager que les puristes, amateurs de films indé et d’auteurs seront au rendez-vous. C’est pour pallier à cette incertitude que l’offre s’adresse aussi bien aux initiés qu’aux néophytes, aux « débutants » désireux d’explorer cet univers méconnu. Et pour affirmer la portée vulgarisatrice de leur projet, ils ont créé « Vendredi 14h ».

Audrey Pulvar est la célèbre journaliste que l’on connaît tous. Passée du JT de France 3 à iTélé, puis On n’est pas couché, elle est aguerrie à l’exercice critique. Passionnée de septième art, c’est tout naturellement que Bruno Barde lui a confié l’animation de « Vendredi 14h », une émission hebdomadaire d’une trentaine de minutes diffusée sur E-Cinéma et les réseaux sociaux. Au programme : un débat sur le cinéma, l’interview d’une personnalité du milieu, et le Magnéto qui présentera le film de la semaine. Avec cette approche quasi-pédagogique, E-Cinéma confirme son intention d’inviter les spectateurs à découvrir des oeuvres infiniment plus complexes et plus riches que ce que proposent les cinémas actuels.

De la culture ENFIN à prix abordable

En France, une place de cinéma coûte en moyenne 10 euros, sans tenir compte des remises et des cartes illimitées. E-Cinéma casse ce prix par deux en proposant des E-Billets à 5,99 euros l’unité, et un abonnement mensuel sans engagement à 9,99 euros – soit 2,50 euros le film. Une autre spécificité de la plateforme est de proposer les films pendant 12 semaines, contre 5 en moyenne dans les salles obscures; et d’en disposer comme bon nous semble pendant 5 jours pleins, contre 48 heures sur la plupart des plateformes de VOD.

De gauche à droite : Audrey Pulvar, Bruno Barde, Frédéric Houzelle, et Roland Coutas.

Inspirée par le mastodonte venu d’outre Atlantique, l’équipe de E-Cinéma ambitionne elle aussi de produire ses propres créations originales à l’horizon 2019. En revanche, aucune série ne figurera sur le catalogue du site, pas tant que Bruno Barde en assurera la programmation. Annoncée en exclusivité sur les appareils fonctionnant sous iOS (Apple TV, iPad, iPhone et Mac…), le S-VOD passera normalement sous Android courant de l’année 2018. Quant à d’éventuels accords passés avec un fournisseur d’accès internet, Thomas Thévenin, le directeur marketing de E-Cinéma botte en touche : « Les négociations se poursuivent. »

La plateforme sera officiellement lancée le vendredi 20 octobre et inaugurée par la projection du premier film disponible sur E-Cinéma : Outrage Coda, de Takeshi Kitano. Croisons les doigts pour que cette offre, qui s’adresse aussi bien aux érudits qu’aux curieux, réussisse le pari fou d’initier les spectateurs à autre chose que la médiocrité ambiante.

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