L’oxygène dans les océans de la planète se raréfie, ce qui menace la faune marine et bouleverse profondément les écosystèmes, selon un rapport dévoilé le 07 décembre lors de la COP25 se tenant à Madrid. Si les zones à concentration d’oxygène réduite et autres zones mortes se multiplient, les espèces sont contraintes de s’adapter.

LA DISPARITION, MAL CONNUE MAIS DÉTERMINANTE, DE L’OXYGÈNE DANS L’OCÉAN

Nommé « La Désoxygénation de l’océan : le problème de chacun », cette étude issue de l’IUCN (International Union for the Conservation of Nature) et présentée le 7 décembre dernier à la COP25 de Madrid, ce rapport est à ce jour l’étude la plus approfondie sur le sujet, le résultat d’un travail de 67 experts au sein de 51 instituts provenant de 17 pays.

La désoxygénation de l’océan peut être un phénomène naturel sur des milliers d’années, mais le réchauffement climatique a accru son accélération à des stades dangereux pour les écosystèmes marins, ce qui a des répercussions sur la planète tout entière. L’observation du phénomène est donc cruciale : « Il n’existe pas d’autre variable environnementale d’une telle importance écologique pour les écosystèmes marins, ayant évolué si drastiquement en un laps de temps si réduit à cause des activités humaines, que la dissolution de l’oxygène. » Pour la première fois, le rapport se concentre donc sur les effets de la réduction de l’oxygène dans les océans, dont l’eau représente 97 % du volume d’eau total sur la planète. 

Deux causes majeures sont mises en avant : le changement climatique, menant aussi à l’acidification des eaux, et la pollution aux nutriments touchant les zones côtières. Les rejets industriels — fertilisants, égouts, rejets des animaux et de l’aquaculture — par les rivières et sur les littoraux, favorisent le développement d’algues qui, en se décomposant, privent le milieu de son oxygène et en font des « zones mortes ». 

700 sites dans le monde sont aujourd’hui affectés par des zones à concentration réduite — couvrant une partie de vastes régions, comme le Golfe de Mexico (14 000 km2), la mer de Chine méridionale (14 000 km²) ou la mer Baltique (50 000-60 000 km²) — contre seulement 45 recensés dans les années 1960. Parallèlement, le nombre de zones anoxiques, ou zones mortes, a quadruplé sur la même période de temps. 

Les auteurs expliquent : « Au cours des 65 dernières années nous avons progressivement réalisé que le sur-enrichissement des eaux avec des nutriments et de la matière organique (eutrophisation) est un problème menaçant et dégradant les écosystèmes côtiers, altère les effectifs poissonniers, et a un effet sur la santé humaine dans de nombreuses régions autour du monde. Plus de 900 zones océaniques autour du monde ont déjà été identifiées comme touchées par les effets de l’eutrophisation. » Les zones déstabilisées par un manque d’oxygène n’ont pas forcément vocation à le rester, si une prise en charge adaptée est mise en place. Parmi les 900 zones recensées, «  plus de 700 sont concernées par l’hypoxie [le manque d’oxygène à un milieu], mais par une meilleure gestion des rejets en nutriments et une adoption de pratiques durables sur les terres avoisinantes, 70 d’entre elles (10 %) sont considérées en récupération. » 

― Maksimilian / Shutterstock.com

DES CONSÉQUENCES À TOUTES LES ÉCHELLES  

Une évolution dans la concentration en oxygène des eaux salées du globe favorise la prolifération d’espèces tolérantes (microbes, méduses, etc.) tout en menaçant celles qui le sont moins, composant la majorité des espèces marines : la plupart des poissons sont donc concernés.

Par le réchauffement climatique, par l’acidification des eaux, se présente un risque de « gélification » de la mer et de la perte d’une diversité d’une valeur inestimable. Des espèces emblématiques, comme le thon, le marlin et le requin sont très exposées, par leur gabarit et besoins en nourriture : en se regroupant dans des régions plus réduites d’eau plus riche en oxygène, ils sont d’autant plus vulnérables à la surpêche. 

À ce jour, l’océan a perdu 2 % de son oxygène, ce qui pourrait monter à 3-4 % à l’horizon 2100 pour le scénario dans lequel des efforts drastiques ne sont pas fournis (RCP 8,5 défini par le GIEC). Les pertes les plus lourdes devraient se concentrer entre la surface et 1000 m de profondeur, qui constitue la couche la plus riche en biodiversité. 

Toutes les implications ne sont pas encore connues : les espèces marines vont devoir s’adapter, à un rythme qui compresse significativement les délais habituels dans les processus de sélection naturelle, « dans leur physiologie et leur comportement. Une altération dans les comportements alimentaires et dans la répartition de l’espèce s’observe généralement, menant potentiellement à une croissance réduite et de plus grandes difficultés à compléter leur cycle de vie. » Ce qui, naturellement, a des implications énormes dans la ressource économique du poisson — le rapport rappelle que la seule industrie mondiale du thon, particulièrement menacé par le phénomène de désoxygénation, pèse 9 milliards de dollars.

Une prévision précise portant sur les comportements futurs des animaux est une gageure : « Il est actuellement difficile de prévoir – s’il est même possible de prévoir – si les espèces marines seront capables de s’adapter avec succès aux changements observés dans la dissolution de l’oxygène des océans. Au long terme, l’adaptation à travers la sélection naturelle pourrait s’effectuer chez des espèces sur une délai d’un très petit nombre de générations. »

L’HOMME DOIT AGIR OU COURT À SA PERTE

Les auteurs ne font qu’appeler à l’action humaine, car celle-ci ne peut plus se faire attendre : le destin de l’être humain, disent les auteurs, est mêlé à celui des écosystèmes sous-marins. Les régions touchées ne sont pas isolées, et ont une influence à une échelle globale : « Les impacts de ces phénomènes se répercuteront et affecteront des centaines de millions de personnes. »

« La société doit se réveiller — et vite — sur l’énormité absolue des changements que nous causons sur les systèmes régulateurs de la Terre, et sur les efforts quasi-monumentaux qui seront nécessaires de la part des gouvernements et de la société pour surmonter et inverser de tels effets. Le rapport est probablement une sous-estimation de ce qu’il se passe. La science est incomplète et la conscience du phénomène de désoxygénation vient d’émerger, mais ce que nous savons déjà est très alarmant. »

La COP25 se tient jusqu’au 13 décembre à Madrid, ce qui offrira l’occasion aux leaders mondiaux de trouver des directions communes dans la lutte contre le réchauffement climatique. Vous pouvez retrouver l’intégralité du rapport ici.

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