coquille-yeux
— © Bill & Mark Bell / Flickr

Les chitons, ces créatures marines modestes, cachent sous leur apparence discrète un mystère évolutif fascinant. Leur caractéristique la plus remarquable, des milliers de petits yeux incrustés dans leur coquille dure, a longtemps intrigué les scientifiques. Une étude récente, publiée dans la revue Science, apporte enfin des réponses éclairantes, révélant l’histoire évolutive complexe et les adaptations uniques de ces mollusques. 

Des yeux pas comme les autres

Des milliers de petits yeux bulbeux munis de lentilles en aragonite sont intégrés dans les coquilles segmentées de certains des mollusques marins. Ces organes sensoriels, appelés ocelles, sont capables de discerner la lumière et les formes, malgré leur petite taille et leur caractère rudimentaire.

Certaines espèces de chitons possèdent toutefois des ocelles plus petits qui fonctionnent davantage comme des pixels individuels, à l’instar des yeux composés de certains insectes, créant ainsi un capteur visuel dispersé dans toute la coquille du chiton.

Une nouvelle étude sur les origines de ces différents systèmes visuels révèle l’étonnante flexibilité évolutive de ces organismes. Les scientifiques ont découvert que les ancêtres de ces mollusques ont développé leurs systèmes visuels uniques à quatre reprises différentes, engendrant deux types distincts de vision. Bien que leur évolution ne soit pas aussi répétitive que celle des crabes et de leurs plans de marche latéraux, qui ont subi au moins cinq cycles évolutifs, l’étude démontre une fois de plus que l’évolution offre de nombreuses solutions à des problèmes fondamentaux.

Une évolution multiple

L’analyse combinée de fossiles et d’ADN a permis aux chercheurs de reconstruire l’arbre évolutif du chiton, identifiant les moments clés où ces systèmes visuels ont émergé. Les résultats de l’étude ont montré que les deux systèmes visuels se sont développés rapidement et deux fois chacun. Étonnamment, les lignées ayant développé des structures visuelles similaires ne sont pas nécessairement les plus proches génétiquement, indiquant que ces traits se sont manifestés de manière convergente à travers des millions d’années d’évolution.

Avant que les premiers yeux en coquille ne soient développés par un autre groupe au Jurassique, il y a 200 à 150 millions d’années, les points oculaires sont apparus pour la première fois chez un groupe de chitons il y a 260 à 200 millions d’années, au Trias, période où les dinosaures sont apparus.

Les yeux en coquille ont connu un deuxième processus d’évolution au Crétacé, il y a 150 à 100 millions d’années, chez les chitons Toniciinae et Acanthopleurinae, ce qui en fait les yeux lenticulaires les plus récents connus. Enfin, jusqu’au Paléogène, il y a environ 75 à 25 millions d’années, les ocelles ont subi une autre transition évolutive sur une autre branche de l’arbre évolutif des chitons.

Le lien entre la structure et la fonction

L’étude a également exploré les circonstances possibles qui ont conduit à cette évolution répétitive. Les nerfs optiques des chitons passent par des ouvertures dans leur carapace. Les espèces avec moins d’ouvertures dans leur coquille pour les nerfs optiques tendent à avoir des yeux moins nombreux mais plus sophistiqués. Inversement, celles avec plus d’ouvertures possèdent un plus grand nombre d’yeux, mais de structure plus simple. 

Cette observation souligne l’interaction entre la morphologie physique et les capacités sensorielles, indiquant que l’évolution des caractéristiques physiques peut guider le développement des fonctions biologiques. Bien que l’on comprenne mieux la chronologie de l’évolution des yeux des chitons, la manière dont ils transmettent les informations visuelles reste un sujet d’étude. 

Toutefois, une étude récente suggère que chez certaines espèces, les yeux plus sophistiqués de la coquille transmettent les données visuelles à un réseau cérébral en forme d’anneau qui fait le tour du corps pour les traiter. La position d’un objet est alors déterminée par les nerfs optiques attachés à cet anneau, en fonction des zones de l’anneau qui sont actives.

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