De récentes recherches ont mis en évidence l’étonnante solution vraisemblablement utilisée par les Chinchas, ancienne civilisation amérindienne, pour reconstituer les dépouilles de leurs proches malmenées par les colons européens.
D’étranges assemblages
S’il ne fait aucune doute que les Européens arrivés au Pérou au XVIe siècle ont apporté avec eux toutes sortes de maux, notamment des maladies, des travaux publiés dans la revue Antiquity suggèrent que les conquistadores ne se sont pas contentés de piller les vivants et ont également ravagé les tombes et les dépouilles de leurs défunts. Selon les chercheurs, les populations locales ont trouvé une solution quelque peu macabre pour restaurer les restes perturbés, en assemblant les fragments de leur colonne vertébrale à l’aide de tiges de roseau.
« Lorsque les Européens pillaient les tombes, ils devaient déchirer les ballots de tissus enveloppant les défunts pour récupérer l’or et l’argent, et leurs corps se délitaient », détaille Jacob Bongers, chercheur à l’université d’East Anglia et auteur principal de l’étude.
Alors qu’ils fouillaient des sites mortuaires de la vallée de Chincha, région dans laquelle le royaume du même nom a prospéré jusqu’à son intégration à l’empire Inca au XVe siècle, les chercheurs ont découvert des vertèbres humaines soigneusement empilées. Si Bongers et ses collègues pensaient au départ qu’il s’agissait de l’œuvre de pilleurs de tombe contemporains, la découverte de près de 200 de ces assemblages, associés à des ballots de tissu éventrés, a conduit l’équipe à formuler une hypothèse bien différente.
« La mort n’était pas une fin en soi »
La culture Chincha était une civilisation amérindienne vivant principalement du commerce de la pêche et de l’agriculture. Les vertèbres empilées ont été trouvées à l’intérieur ou à l’extérieur de grandes sépultures élaborées connues sous le nom de chullpas. La datation au radiocarbone de trois de ces assemblages suggère que les individus sont probablement morts entre 1520 et 1550, période d’épidémies et de famines au Pérou, tandis que les roseaux ont été récoltés plus tard, entre 1550 et 1590.
Selon les auteurs de l’étude, les dates de récolte des roseaux correspondent approximativement à la période où les Européens auraient été à Chincha et auraient pillé ces tombes. Une hypothèse étayée par le fait que les vertèbres étaient généralement enfilées sur les tiges sans respecter leur ordre anatomique, impliquant qu’elles aient été préalablement éparpillées.
« La mort n’était pas une fin en soi », souligne Bongers. « Le colonialisme européen n’empêchait pas les populations locales de continuer à interagir avec les défunts. »
Un scénario contesté
Si Bill Sillar, expert en archéologie andine à l’University College de Londres, juge les datations convaincantes et qu’il est plausible que cette stratégie ait été adoptée en réponse aux pillages coloniaux, il explique que de nombreuses sociétés andines avaient l’habitude d’exhumer périodiquement les dépouilles de leurs proches, notamment pour leur donner à boire.
« Il est tout à fait raisonnable de penser que les vertèbres ont été rassemblées et les momies reconstituées en réponse aux interventions coloniales, mais cette pratique a également pu émerger, en tant qu’aspect du rituel mortuaire andin, avant l’intervention des Espagnols », conclut le chercheur.
Par Yann Contegat, le
Source: The Guardian
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