Une équipe coréenne a réussi à mettre au point une technique inédite de détection de la Bacillus anthracis, la bactérie responsable de l’anthrax. Appelée « fièvre du charbon » en français, cette maladie extrêmement mortelle serait une arme bactériologique de choix pour les terroristes.


Une maladie naturelle

La Bacillus anthracis a été découverte et décrite au milieu du XIXe siècle en Allemagne, France et Grande-Bretagne. Ce spore très résistant peut survivre des décennies dans le sol, et fait face avec grande aisance à la sécheresse et à de nombreux désinfectants. Il provoque ce qu’on nomme la « fièvre charbonneuse » chez l’animal comme chez l’homme. Cette maladie est donc anthropozoonose. Elle touche ainsi particulièrement les animaux herbivores qui peuvent être contaminés par leur alimentation (par exemple, elle a pu décimer jusqu’à 50 % du cheptel en Beauce au XIXe siècle).

De là, elle passe aisément chez l’homme. Il est probable que ce mal soit connu depuis l’antiquité (bien que souvent confondue avec d’autres maladies et communément appelé « peste », comme la plupart des infections dans les textes grecs). Par exemple, la République de Venise punissait de mort la vente de carcasse charbonnés. Car la maladie du charbon fait aussi des ravages chez l’homme : 85 % des personnes infectées meurent si la maladie n’est pas traitée immédiatement. Deux catégories de la population sont principalement en danger. Ce sont les éleveurs au contact des animaux, et les ouvriers manipulant le charbon d’origine animale (devenu rare dans les pays les plus développés).

Un four pour la calcination des os, permettant d’obtenir du charbon animal.


Une arme bactériologique

Dès 1876, le médecin allemand et prix Nobel Robert Koch parvient à la cultiver. À l’époque, il s’agit de comprendre les mécanismes bactériologiques, notamment la sporulation. Mais les progrès technologiques et industriels, couplés à la montée des tensions géo-politiques du XXe siècle, vont faire de ses travaux scientifiques un outil redoutable dans la guerre bactériologique potentielle.

Ainsi au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le procédé de culture du bacille devient plus aisé et se développe à grande échelle. Dans le contexte de la guerre froide, les deux « grands » que sont les États-Unis et l’URSS accumulent des stocks importants en prévision d’un éventuel affrontement. L’aspect dissuasif d’une telle arme est fort : sa pulvérisation aérienne provoquerait très rapidement un nombre élevé de mort en raison de la rapidité de l’infection et de la faible quantité de spores nécessaires pour la provoquer.

Bacillus anthracis au microscope.

Le risque bio-terroriste

Les méthodes mises au point en prévision d’une Troisième Guerre mondiale vont faire des émules. Ainsi, en 2001, une semaine après les attentats du World Trade Center, les États-Unis sont confrontés aux premiers usages terroriste de Bacillus anthracis. Des lettres contenant les spores sont envoyées à des médias et des membres du congrès. Dans le contexte paranoïaque de la « guerre contre le terrorisme » décrétée par G. W. Bush, elles sont logiquement imputées à Al Qaïda. Les faits ne seront jamais démontrés (on soupçonne aujourd’hui un chercheur suicidé en 2008 d’être l’instigateur de ces attaques), mais ces lettres feront finalement cinq morts.

En 2015, c’est à l’autre bout du monde que l’anthrax fait parler de lui. Le leader nord-coréen, Kim Jong-un, se fait photographier dans un centre de développement de pesticides. Or, l’analyse des images par les services de renseignements laisse entendre que ce centre pourrait permettre de développer d’importantes réserves d’armes bactériologiques, dont la terrible Bacillus anthracis.

Le dirigeant Kim Jong-un est le troisième Kim à la tête de la Corée du Nord. Il est perçu comme imprévisible, dangereux, voir fou par beaucoup d’observateurs. Ses programmes nucléaires, balistiques mais aussi bactériologiques font craindre le pire au Sud. La Corée est coupée en deux depuis 1953.

Un défi technique pour la Corée du Sud

Chez les frères ennemis du Sud, la réaction est immédiate : le but devient « d’améliorer notre préparation à ce genre de menaces biologiques », explique le physicien Young Keun Park, auteur principal de l’étude en partenariat avec l’Agence pour le Développement de la Défense de Corée du Sud qui est une structure militaire. Face à la menace, son équipe va réaliser une vraie performance technologique.

Leur méthode de détection du spore allie en effet deux outils : la microscopie holographique, qui permet de déceler non seulement l’intensité de la lumière qui éclaire un objet, mais aussi sa direction ; et l’intelligence artificielle, grâce à laquelle ils ont pu développé un algorithme d’apprentissage permettant de distinguer plus de 400 spores et bactéries apparentés pour en distingué l’anthrax. Ainsi, la microscopie holographique permet d’analyser plus précisément la cible, tandis que l’algorithme prendra le relais pour l’identifier de manière quasi certaine : le taux de succès est de 96 %.

Un microscope holographique


Un précieux gain de temps

Si ce taux d’identification paraît bon, il est en réalité le talon d’Achille de cette nouvelle méthode. Car d’autres techniques déjà mises au point identifient la bactérie à coup sûr.  » La précision est moindre qu’avec les méthodes conventionnelles « , admet Park. Autre défaut : la machine n’est exercée qu’à identifier une souche particulière, ce qui la rend faillible, d’autant que les armes bactériologiques sont souvent modifiées en laboratoire. Mais l’avantage de cette méthode est en réalité celui de la rapidité.

Les méthodes conventionnelles de détection de la maladie nécessitent la mise en place d’un processus long et complexe. En cas d’attaque, la rapidité de réaction pourrait bien être le meilleur moyen de sauver des vies. Or, cette méthode est presque instantanée et ne nécessite pas d’examen ADN, ni de consultations à la chaîne. Surtout, elle permet de détecter les spores avant qu’ils n’infectent qui que ce soit. La machine a juste besoin de les visualiser. Cette technique pourrait donc sauver de nombreuses vies, mais espérons qu’elle ne sera jamais mise à l’épreuve…

Des soldats australiens équipés de masques à gaz en 1917. Suite à la Première Guerre mondiale, des traités ont banni l’usage d’armes chimiques et bactériologiques. Mais de nombreux états isolés comme la Corée du Nord ne les ont pas signés.

 

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