Née le 17 juillet 1925, Anita Lasker-Wallfisch est une violoncelliste mondialement renommée mais également une rescapée de l’orchestre des femmes d’Auschwitz. Elle compte aujourd’hui parmi les voix qui témoignent encore de l’horreur de la survie dans les camps nazis. Pourtant, elle avait caché cela durant quarante années, y compris à ses proches. Aujourd’hui, nous vous proposons un portrait de cette violoncelliste actuellement âgée de 95 ans. 

Qui est Anita Lasker-Wallfisch ?

Anita Lasker-Wallfisch est née le 17 juillet 1925 en province de Silésie, à Breslau, ville allemande jusqu’en 1945. Elle est aujourd’hui la quatrième ville de Pologne par sa population (633 000 habitants), est l’une des plus anciennement fondées (vers les IXe et Xe siècles) et porte le nom de Wrocław. Elle est née dans une famille juive et a deux sœurs : Renate et Marianne. Son père est avocat et sa mère violoniste. 

A partir de 1933, la famille Lasker-Wallfisch souffrit fortement des discriminations. Néanmoins, le père de famille s’étant battu au front au cours de la Première Guerre mondiale et ayant obtenu la croix de fer, décoration militaire allemande, la famille fut tout de même relativement à l’abri des persécutions nazies.

Au cours de l’année 1941, la sœur la plus âgée, Marianne, s’envola pour l’Angleterre. Plus tard, en avril 1942, les parents d’Anita Lasker-Wallfisch furent emmenés de force. Les sources sont pauvres concernant la suite de leur existence mais ils seraient probablement décédés en Pologne à proximité de Lublin. Travaillant à l’époque dans une usine à papier, Anita et Renate échappèrent quant à elles par chance à la déportation. 

© PumpingRudi – Anita Lasker-Wallfisch / Wikimedia Commons

Au sein de leur usine, les deux sœurs rencontrèrent plusieurs prisonniers de guerre français. Ensemble, ils commencèrent alors à fabriquer de faux papiers d’identité afin d’aider les travailleurs forcés français à traverser la frontière pour revenir en France. Au mois de septembre 1942, Anita et Renate tentèrent de s’échapper vers l’Hexagone. Elle furent malheureusement arrêtées par la Gestapo pour contrefaçon à la gare de Breslau. Seule leur valise, restée dans le train, continua la route. Perturbée par la perte de ce bagage, la Gestapo inscrivit d’ailleurs sa couleur ainsi que sa taille.

J’étais en prison depuis un an. Puis un jour on me convoqua. Une valise était arrivée, pouvais-je l’identifier ? C’était ma valise. Ils ont tout volé, tué tout le monde, mais ma valise était ce qui comptait vraiment pour eux. Ils avaient trouvé une valise et tout allait bien, encore que je ne l’ai jamais revue, car ils la transportèrent dans les caves de la prison et plus tard j’ai vu une garde porter l’une de mes robes”, a notamment rapporté Anita Lasker-Wallfisch à The Guardian en 2005.

Sauvée” par l’orchestre d’Auschwitz

Renate et Anita furent alors conduites à Auschwitz par des trains-prisons pour voyageurs et non par d’inhumains wagons à bestiaux. “À mon arrivée, une jeune déportée chargée de me faire intégrer le camp me demanda ce que je faisais avant la guerre. Je lui dis que je jouais du violoncelle. Quelle idiotie. ‘Génial !’ dit-elle. ‘Tu es sauvée.’ Elle appela la femme qui dirigeait l’orchestre, Alma Rosé. Il se trouve qu’il n’y avait pas de violoncelliste. Il y avait des instruments incroyables dans l’orchestre – des mandolines, des accordéons – mais pas de violoncelle, alors j’étais comme la manne envoyée du ciel”, a ajouté Anita Lasker-Wallfisch.

© Menerbes – Tombe d’Alma Rosé et de ses parents au cimetière autrichien de Grinzing / Wikimedia Commons

La place d’Anita au sein de l’orchestre d’Auschwitz, composé de quarante musiciens, la sauva donc car, peu nombreux, les violoncellistes étaient bien difficiles à remplacer. Lorsque les travailleurs quittaient le camp afin d’aller durement travailler et lorsqu’ils rentraient, les membres de l’orchestre leur jouaient des marches. Ils se devaient de surcroît de donner des concerts aux SS.

1944 : l’évacuation d’Auschwitz

En octobre 1944, le camp d’Auschwitz fut évacué à l’approche de l’Armée rouge. Anita Lasker-Wallfisch fut alors transportée en train avec 3 000 autres personnes en direction de Bergen-Belsen, camp de concentration nazi situé au sud-est de la ville de Bergen, près de la localité de Belsen, en Allemagne. Dans ce camp, Anita survécut durant six longs mois avec presque aucuns vivres. Après sa libération, Renate eut la chance de devenir interprète pour l’Armée britannique car elle maîtrisait l’anglais.

© Auteur inconnu – Stèle d’entrée du camp de Bergen-Belsen / Wikimedia Commons

En 1946, Anita et Renate purent s’installer en Angleterre avec l’aide de leur sœur Marianne. Anita rejoignit l’English Chamber Orchestra, un des principaux orchestres de chambre anglais situé à Londres, en étant à la fois musicienne pour l’orchestre mais aussi une artiste solo. Elle participa ensuite à diverses tournées internationales. Il faut également savoir qu’elle est d’ailleurs la mère du violoncelliste Raphael Wallfisch

Tourner la page après avoir subi un “épouvantable passé

Après avoir vécu une expérience aussi effroyable que sont les camps de concentration, Anita Lasker-Wallfisch ne souhaitait qu’une chose : oublier et aller de l’avant. “Je ne voulais pas accabler mes enfants avec mon épouvantable passé, je voulais le laisser derrière moi”, a-t-elle témoigné auprès de l’AFP et dont les propos ont été relayés par GEO. Le traumatisme de la déportation était si puissant “dans l’air” qu’elle n’en a même jamais parlé avec son mari, le pianiste Peter Wallfisch.

« Nous avions autre chose à faire, nous devions recommencer notre vie en partant de zéro. Et puis comment décrire la folie des hommes ? Comment raconter à des enfants que leurs grands-parents ont été assassinés en avril 1942, que Tante Renate n’était plus qu’un squelette avec des plaies béantes sur les jambes ? Comment dire qu’à 18 ans, réduite à ce simple matricule 69388, on a joué dans un orchestre installé à quelques mètres du crématorium, avec une vue imprenable sur la rampe de sélection ? », a-t-elle poursuivi.

Sa fille cadette, du nom de Maya Lasker-Wallfisch, a également témoigné auprès de sa mère et assure avoir toujours senti que sa mère lui cachait un éprouvant fardeau. Elle avoue avoir grandi avec des “parents étranges qui entre eux parlent allemand”, langue que les enfants ne comprennent pas. Elle a aussi affirmé que leurs parents haïssent au plus profond d’eux-mêmes tout ce qui provient d’Allemagne. 

Un effroyable traumatisme 

Quand elle entendait parler allemand dans le bus ou le métro, ma mère s’assombrissait immédiatement”, a poursuivi Maya qui a d’ailleurs publié un ouvrage du nom de Briefe nach Breslau, autrement dit Lettres à Wrocław.

Par ailleurs, la fille d’Anita est un jour tombée sur d’atroces photographies de Bergen-Belsen, où Anita fut transférée avec sa sœur en mars 1944. « Le secret et le silence ne sont jamais sains. J’ai tout absorbé mais bien sûr sans savoir ce que ce ‘tout’ était. Le traumatisme ne disparaît pas, il est mis sous clé (…) Pour certaines personnes, c’est l’unique stratégie pour rester sain d’esprit. Mais les blessures du passé sont profondes et peuvent ressortir à la génération suivante », a ajouté sa fille devenue aujourd’hui psychanalyste spécialisée dans les traumatismes transgénérationnels.

En plein cœur de ce traumatisme, Anita Lasker-Wallfisch affirme que c’est bel et bien la musique qui a sauvé sa vie. C’est également grâce à elle qu’elle a pu réaliser un voyage en Allemagne, 43 années après avoir été traumatisée par de véritables bourreaux. 

Je ne voulais plus jamais revenir en Allemagne

Je ne voulais plus jamais revenir en Allemagne. Pourtant ma curiosité de voir ce que Bergen-Belsen était devenu fut plus grande et en juillet 1989, à la faveur d’un concert avec l’English Chamber Orchestra que j’ai cofondé, je suis revenue sur ce lieu. Je suis aussi retournée dans ma ville natale de Wrocław et à Auschwitz-Birkenau. Voir ce camp vide, sans la moindre personne, c’était… irréel”, a expliqué Anita Lasker-Wallfisch.

© Bundesarchiv, B 285 Bild-04413 – Stanislaw Mucha – Entrée du camp d’Auschwitz-Birkenau en 1945 / Wikimedia Commons

Depuis toutes ces années, elle a souhaité multiplier les interventions à la télévision mais également au sein des écoles allemandes. Lors de la Journée de commémoration de l’Holocauste en Allemagne, elle a de surcroît souhaité tenir un discours des plus historiques. Elle y a notamment condamné “l’antisémitisme, ce virus deux fois millénaire manifestement incurable. La haine est tout simplement un poison qui finit par vous empoissonner.

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