Les Vikings, souvent associés à leur rôle de conquérants et de navigateurs, sont aujourd’hui au cœur de nouvelles découvertes scientifiques. Leur quête d’ivoire, une matière précieuse dans l’Europe médiévale, les aurait menés jusqu’aux confins du monde connu. Une étude récente, basée sur l’analyse ADN d’objets en ivoire retrouvés dans des musées européens, révèle que les Nordiques ont exploré des régions arctiques éloignées pour s’approvisionner en défenses de morse. Les résultats sont publiés dans Science Advances.
L’ivoire de morse
L’ivoire, utilisé pour créer des objets de prestige, notamment religieux, était une denrée très prisée dans l’Europe médiévale. Les Vikings, cherchant à satisfaire cette demande croissante, se sont tournés vers les défenses de morse. Pendant longtemps, on pensait que les Nordiques du Groenland ne s’aventuraient pas au-delà du sud de cette île. Cependant, une nouvelle analyse génétique d’objets en ivoire a changé cette perception.
Une équipe de chercheurs, en étudiant 31 objets en ivoire provenant de musées européens, a découvert que près de la moitié de ces objets provenaient de morses vivant dans les régions septentrionales du Groenland et de l’Arctique canadien. Cela indique que les Vikings auraient navigué bien plus au nord qu’on ne le pensait initialement, dépassant même les frontières traditionnelles de leur territoire.
Peter Jordan, archéologue à l’université de Lund, a exprimé sa surprise face à l’ampleur de ces découvertes : « Nous n’avions aucune idée qu’ils récoltaient de l’ivoire dans une zone aussi vaste. » Cette récolte intensive soulève de nombreuses questions sur la manière dont les Vikings du Groenland, vivant dans des communautés isolées, ont pu organiser de telles expéditions lointaines.
Un voyage risqué dans les eaux arctiques
Les conditions pour entreprendre une telle quête étaient particulièrement difficiles. Les Vikings devaient attendre la fonte des glaces de mer pour pouvoir naviguer. Selon l’archéologue Greer Jarrett, ils ne disposaient que d’une fenêtre étroite de dix semaines pour accomplir leur mission avant que les eaux ne gèlent à nouveau. Le voyage vers le nord du Groenland prenait environ un mois, mais une fois sur place, les Vikings bénéficiaient de la lumière du jour continue, leur permettant de chasser les morses ou de commercer sans interruption.
Ces expéditions ne se déroulaient pas en vase clos. Selon Morten Tange Olsen, écologiste à l’université de Copenhague, il est probable que les Vikings aient rencontré les peuples autochtones du Haut-Arctique, notamment les Inuits de Thulé et peut-être même leurs prédécesseurs, les Tuniit (ou Dorset).
Bien que l’étude ne prouve pas de contacts directs entre ces groupes, elle révèle qu’ils se trouvaient au même endroit à la même période, en quête de la même ressource : le morse. Ainsi, il est envisageable que ces peuples aient échangé des produits dérivés du morse avec les Vikings, même si des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer cette hypothèse.
L’essor du commerce de l’ivoire et ses conséquences
Le commerce de l’ivoire semble avoir été un moteur important dans les relations entre les Vikings et les peuples indigènes de l’Arctique. Contrairement aux Vikings, qui utilisaient des bateaux à planches et des lances à pointe de fer pour capturer les morses, les Inuits de Thulé disposaient de harpons sophistiqués et chassaient les morses nageurs à partir de bateaux ouverts, imperméables grâce à des peaux d’animaux.
Selon les chercheurs, il est peu probable que les Tuniit ou les Inuits aient récolté l’ivoire pour le commerce avant l’arrivée des Vikings. Cependant, les Vikings, avec leur réseau commercial étendu à travers l’Europe médiévale, avaient toutes les raisons de s’aventurer dans ces régions reculées pour répondre à la demande croissante d’ivoire. Cette quête d’ivoire pourrait même expliquer pourquoi les Vikings ont finalement abandonné le Groenland au cours du XVe siècle, après avoir surexploité les ressources naturelles, notamment les morses, au nord de l’île.
La disparition des morses dans certaines régions, comme l’Islande, coïncide avec l’arrivée des colons vikings. Il est donc possible que leur exploitation intensive ait également contribué au déclin des populations de morses au Groenland. Si cette hypothèse est correcte, elle marque un tournant dans l’histoire de la mondialisation des chaînes d’approvisionnement, où les ressources naturelles lointaines étaient extraites pour répondre à une demande croissante en Europe.
Ce processus d’extraction de ressources sur de longues distances, avec des conséquences écologiques dévastatrices, préfigure les dynamiques capitalistes modernes. Toutefois, les auteurs de l’étude insistent sur l’importance de ne pas négliger la perspective autochtone dans cette histoire. Jusqu’à présent, le récit de ces échanges commerciaux a été largement eurocentrique, se concentrant sur l’expansion des Vikings et leur colonisation. Mais comme l’explique Greer Jarrett, « la réalité est plus nuancée et plus intéressante. Tout cela doit être repensé et faire l’objet d’un grand nombre de nouvelles recherches. » Par ailleurs, les Vikings norvégiens étaient beaucoup plus violents qu’on ne le pensait.