La vie est présente partout à la surface de notre planète, que ce soit à l’air libre ou dans les profondeurs sombres des océans. Mais jusqu’où la vie peut-elle exister sous terre ? Une nouvelle étude nous explique que des microorganismes auraient vécu 19 km sous la surface terrestre. DGS vous apporte plus de précisions sur ce rapport qui intrigue les scientifiques.

A l’initiative de Philippa Stoddard, de nouvelles recherches ont mis en évidence le fait que les bactéries pourraient vivre jusqu’à 19 km sous terre. C’est probablement la vie la plus profonde qui n’ait jamais été entrevue. Comprendre les limites terrestres de la biologie est essentiel pour savoir si des formes de vie peuvent exister sur d’autres planètes, en dépit de conditions climatiques beaucoup moins clémentes que celles que l’on connait sur Terre.

« La plupart des études rapportent que la vie microbienne dans la croûte terrestre ne peut dépasser quelques kilomètres, deux tout au plus », a déclaré Stoddard, géophysicienne de l’université Yale. « En supposant que mes données sont correctes, cela élargit considérablement notre compréhension de la biosphère de la Terre. »

Stoddard a présenté le résultat de ses recherches à la Société américaine de géologie lors de la réunion annuelle à Vancouver en octobre dernier. En se basant sur des indices découverts pendant deux décennies, Stoddard et ses collègues de Yale ont examiné les roches de Lopez Island au nord-ouest de l’État de Washington. Ils ont découvert qu’un affleurement rocheux contenait un minéral : l’aragonite. Ce minéral, habituellement présent en profondeur, aurait surgi à la surface il y a des millions d’années par un processus géologique. Après l’avoir analysé, les scientifiques ont détecté une quantité anormalement élevée d’éléments de carbone. Or, cette trace de carbone est habituellement associée à la production de méthane par des microbes.

L’explication la plus plausible est que les formes de vie, une fois enfouies dans la croûte terrestre, auraient altéré la signature carbonique de l’aragonite antique à travers la création de méthane. Ces microbes auraient résisté aux températures extrêmes et à la pression. Voilà une démonstration spectaculaire de la robustesse de la vie qui est de bonne augure pour comprendre davantage les environnements extraterrestres.

« Je pense que nos résultats sont très encourageants pour croire en la vie sur d’autres planètes », explique Stoddard. « Plus nous en saurons sur les environnements extrêmes de notre planète, plus nous réaliserons à quel point la vie est résiliente. »

 

Veine d’aragonite

 

Presque oublié

Ces découvertes ont réellement débuté dans les années 1990. J.G Feehan, qui avait déjà commencé à travailler sur ce terrain pour sa thèse avec Mark T. Brandon de Yale, avait déjà identifié de très légères signatures de carbone dans l’aragonite. Feehan suggérait déjà à l’époque que cette signature était l’empreinte de la vie en profondeur. Son principal sujet reposait cependant sur la géophysique des roches et la manière dont elles accueillent les veines d’aragonite. C’est pourquoi son hypothèse de la vie souterraine n’avait pas était reprise depuis.

Stoddard et Brandon (aujourd’hui conseiller de Stoddard), avec l’aide du professeur de Yale David Rye, ont décidé de reprendre l’hypothèse de Feehan. C’est pourquoi ils sont récemment retournés sur les terres de Lopez Island.

« Professeur Brandon et moi sommes retournés près des roches de Lopez Island, où Feehan avait effectué ses mesures d’isotopes légers de carbone, pour voir si nous pourrions confirmer ses données et explorer la suggestion de la vie en profondeur de manière plus poussée », explique Stoddard.

De nombreux témoins

De la même manière que Feehan, Stoddard a analysé les ratios de deux isotopes de carbone (deux versions de carbone contenant un nombre de neutrons différent). Les isotopes en question sont le carbone-12 et le carbone-13, le C-12 et le C-13. Le carbone 12 représente la majeure partie du carbone présent sur Terre. Son noyau atomique est composé de six protons et six neutrons. Le C-13 a les mêmes caractéristiques si ce n’est qu’il possède un proton de plus.

La vie altère le ratio entre le C-12 et le C-13 du fait de processus biologiques. En fait, il se produit une création excessive d’isotopes légers par rapport à la quantité d’isotopes lourds. Le carbone-12 est donc plus léger que le carbone-13. De fait, les isotopes légers sont plus faciles à déplacer par l’intermédiaire d’une traction d’une matière biologique.

« Parce que le carbon-12 est un isotope plus léger que le carbone-13, il est plus mobile », affirme Stoddard. « Il peut effectivement se déplacer plus rapidement. »

Le méthane, un déchet courant produit par les microbes, contient un seul atome de carbone plus quatre atomes d’hydrogène. Quand les microbes consomment les molécules riches en carbone et excrète le méthane, le C-12 contenu dans le méthane ainsi relâché se libère plus rapidement dans l’environnement que le C-13. Le ratio typique d’un isotope de carbone à un autre se résulte finalement dans les roches, comme c’est le cas de l’aragonite à Lopez Island.

« Le méthane produit par les microbes a beaucoup moins d’isotopes lourds que le ratio standard », note Stoddard. Plusieurs processus non biologiques sont aussi susceptibles de séparer les isotopes de carbone mais pas de manière aussi efficace.

 

Molécule de méthane

 

Les profondeurs terrestres

Les îles San Juan, dont fait partie Lopez Island, sont devenues des îles il y a « seulement » 100 millions d’années. Avant cela, ces roches minérales se situaient près de ce qui serait aujourd’hui l’île de Vancouver. Or, cette région est appelée « zone de subduction ». Une zone de subduction est une zone où une plaque tectonique plonge sous une autre plaque. Ce phénomène a tendance à créer de profondes fosses. Dès lors, pressions et chaleur métamorphosent le basalte en aragonite. C’est pourquoi on peut penser que l’aragonite présente sur cette île s’est probablement formée à une profondeur de 19 km. Par la suite, les microbes ont lentement altéré la signature de carbone de l’aragonite à travers l’excrétion méthodique de méthane. L’eau souterraine piégée avec les microbes aurait pu participer à leur maintien en vie dans un tel endroit. Les températures auraient pu excéder les 121 degrés, seuil défini comme la limite pour laquelle un organisme robuste peut survivre.

Alors comment les microbes ont-ils pu survivre ? Il semblerait que ce soit le très haut niveau de pression qui ait permis de les maintenir en vie (un niveau approximativement 5 000 fois supérieur à celui exercé par l’atmosphère terrestre au niveau de la mer). Des pressions élevées peuvent effectivement stabiliser les molécules des bactéries, telles que l’ADN, en compensant les effets de chaleur.

Des scénarios similaires pourrait encore persister aujourd’hui sur Terre. Cela signifie que la biosphère de notre planète pourrait encore s’étendre sur de nombreux kilomètres sous la surface.

« Nous avons vu au cours des deux dernières décennies d’exploration que la vie peut exister dans une incroyable diversité d’écosystèmes, même dans les profondeurs sous-marines glaciales », explique Stoddard. « Si les profondeurs terrestres étaient vivables pour les microbes il y a 100 millions d’années, le même phénomène pourrait exister aujourd’hui encore. »

Vivre dans les profondeurs

Une autre approche pourrait permettre la vie extraterrestre sur une planète comme Mars. Malgré certains inconvénients évidents concernant la vie en profondeur, les microbes qui ont évolué pour survivre dans de telles conditions auraient aujourd’hui des avantages pour vivre. Leur évolution pourrait permettre de se développer à la surface de sols hostiles.

Prenons à nouveau l’exemple de Mars. Sa surface a été bombardée par des rayonnements cosmiques des centaines de fois de plus que la surface de la Terre. Mars manque d’un champ magnétique pour la protéger. Ainsi la vie qui s’y développerait à sa surface aurait une plus grande exposition aux rayons nuisibles. Profondément sous la surface, ce risque diminue. D’autres risques tels que les brûlures ou le gel s’amenuisent également.

 

La surface de Mars

« Les environnements souterrains seraient potentiellement des endroits favorables à la vie extraterrestre parce qu’ils sont plus à l’abri des conditions de surfaces nocives (comme le rayonnement cosmique) et isolés des températures extrêmes », ajoute Stoddard. « C’est quelque chose que nous devrions garder à l’esprit lorsque nous allons explorer d’autres planètes. »

Stoddard et ses collègues ont l’intention de poursuivre l’étude des roches enfouies de Lopez Island pour glaner davantage d’informations et savoir si la vie peut élire domicile dans les profondeurs terrestres.

« Bien que nos données sur les isotopes sont très évocatrices de l’existence de la vie en profondeur, il y a encore beaucoup de choses que nous ne connaissons pas sur cet environnement et qui pourraient influer sur nos conclusions », explique Stoddard. « Nous espérons être en mesure d’avoir un portrait détaillé de cet écosystème profond dans les prochains mois. »

Avec cette découverte, la biologie réalise une avancée extraordinaire. Au-delà des capacités robustes des organismes présents sur Terre, cette étude soulève de nouvelles interrogations quant au futur de la vie humaine : en effet, beaucoup envisagent à l’avenir une expatriation de la vie humaine dans les profondeurs d’une planète voisine. Seriez-vous prêt à vivre sous terre si votre vie en dépendait ?

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