Découverte dans un champ anglais, une mosaïque romaine remet en cause notre vision de la guerre de Troie. Contrairement aux apparences, elle ne suit pas Homère, mais une tragédie perdue d’Eschyle, révélant une circulation culturelle insoupçonnée entre le monde grec et la Britannia romaine.

Une découverte archéologique née d’un promeneur et confirmée par satellite et fouilles
En 2020, Jim Irvine, fils d’un agriculteur du Rutland, repère des fragments de poteries et des coquilles d’huîtres pendant une balade. Intrigué, il consulte Google Earth et y décèle les traces d’un édifice enfoui. Ce sont ainsi les premiers signes d’une villa romaine oubliée.
L’Université de Leicester est alors alertée. Rapidement, les fouilles confirment l’importance du site. Une grande villa émerge, avec triclinium, thermes, et système hydraulique. Au cœur du complexe, une mosaïque de plus de dix mètres, richement décorée, attire l’attention. Elle suggère donc un propriétaire cultivé, soucieux d’impressionner ses invités.
En fin de compte, le lieu de découverte, en pleine campagne anglaise, renforce la portée symbolique de cette trouvaille. Même aux marges de l’Empire, des foyers de culture et de raffinement prospéraient. Dès lors, il suffit parfois d’un œil curieux pour réveiller un pan entier d’histoire.

Une scène troyenne tirée d’Eschyle et non d’Homère : le détail de la balance change tout
Longtemps interprétée comme une scène de l’Iliade, la mosaïque montre un détail inédit. On y voit en effet le roi Priam plaçant de l’or sur une balance, face au corps d’Hector. Cette scène ne figure pas chez Homère. Elle contredit même un passage où Achille refuse toute pesée pour racheter son ennemi.
Or, ce détail provient d’une tragédie perdue d’Eschyle, Phrygiens. Elle est mentionnée dans un manuscrit byzantin. La mosaïque illustre donc une version alternative du mythe, transmise par les images et non par les textes. De ce fait, elle reflète une mémoire narrative multiple, éloignée de la tradition homérique.
Des modèles visuels antiques circulaient dans tout l’Empire et inspiraient les artisans de province
Les artistes du Rutland n’ont pas improvisé ce décor. En réalité, ils ont utilisé un répertoire visuel transmis par des générations d’artisans. On parle ici de « pattern books », des catalogues de motifs issus de céramiques, monnaies ou objets d’orfèvrerie gréco-romains.
Ainsi, la pose d’Hector dans son char rappelle une pièce frappée à Ilion. De même, la scène d’Achille traînant le corps évoque une amphore attique du Ve siècle av. J.-C. Même un petit serpent, enroulé sous les sabots des chevaux, réactive un symbole funéraire grec. Rien, ici, n’est laissé au hasard.
Un choix artistique savant qui révèle l’élitisme culturel des propriétaires de la villa
Choisir une scène aussi rare, tirée d’un drame oublié, n’est pas anodin. Ce geste est profondément culturel. En effet, il montre que le commanditaire voulait afficher sa connaissance des marges de la mythologie. Il citait Eschyle comme d’autres auraient invoqué Virgile.
Dans le triclinium, les banquets devenaient des scènes de conversation érudite. Devant cette mosaïque, on débattait d’Achille, de symbolique ou de mythes oubliés. Ainsi, l’œuvre, loin d’être purement décorative, est performative. Elle parle, questionne, élève. Même en pleine campagne anglaise.
Par Gabrielle Andriamanjatoson, le
Source: Science & Vie
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