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Nos agriculteurs en grande difficulté depuis que les travailleurs migrants ne peuvent plus les aider

Cette situation éclaire sur les paradoxes d'une Europe qui ferme de plus en plus ses frontières aux migrants mais a désespérément besoin d'eux

— mikeledray / Shutterstock.com

Alors que l’Europe ferme ses frontières et se confine pour contrer le coronavirus, le continent fait également face à l’un de ses plus grands paradoxes : elle a plus que jamais besoin des travailleurs migrants pour l’aider dans ses récoltes. Pourtant, les discours anti-immigration ont rarement été aussi virulents qu’aujourd’hui.

L’Europe dépend des travailleurs migrants

L’épidémie de Covid-19 révèle de nombreuses choses que l’on connait mais auxquelles on ne pense pas systématiquement, sauf en cas de crise majeure. Parmi elles, le recours aux travailleurs migrants saisonniers, principalement dans le secteur de l’agriculture. Alors que, pour soutenir l’agriculture française en cette période de crise et face à la crise économique qui s’annonce, les supermarchés ont décidé de passer à 100 % de productions françaises en matière de fruits et légumes, il convient de s’interroger sur la production en elle-même.

En effet, depuis de nombreuses années, l’Europe, et la France en particulier, est devenue fortement dépendante de la main-d’œuvre agricole étrangère. Près de 80 % de la main-d’œuvre en la matière est d’origine étrangère selon les chiffres officiels de 2016. En 2002, Jean-Pierre Berlan, chercheur à l’INRA, estimait pour l’AFP que l’agriculture française s’était ‘californisée‘. Dans cet État américain, « le milieu local ne peut fournir les bras, il faut donc recourir à une main-d’œuvre migratoire aujourd’hui mexicaine après avoir été chinoise, japonaise, philippine, américaine au cours des années 1930″, expliquait-il alors. Pendant la Grande Dépression des années 1930, de nombreux travailleurs du Midwest sont allés chercher du travail en Californie, comme le raconte Steinbeck dans Les Raisins de la colère. En France, l’agriculture, en particulier provençale, comme de nombreux autres secteurs, s’est industrialisée et intensifiée, elle a donc eu besoin de recourir à des travailleurs d’abord venant des Alpes françaises et du Massif central, puis d’Italie, Portugal, Espagne, Maroc…

De nombreux autres pays européens ont besoin de ces travailleurs migrants saisonniers, qui acceptent de travailler pour un salaire plus bas que les locaux. Aussi l’Italie, par la voix de Giorgio Gori, maire de Bergame (l’une des villes les plus touchées du pays et donc d’Europe), appelle à régulariser par décret la situation des travailleurs migrants non européens.

Une situation paradoxale et difficilement tenable sur le long terme

Toujours en Italie, Coldiretti, l’organisation agricole, rappelle que plus de 25 % des aliments produits dans la péninsule sont le fruit du travail de plus de 370 000 saisonniers réguliers qui viennent chaque année de l’étranger. Les Roumains y représentent la communauté la plus importante, car ils sont plus de 105 000 travailleurs agricoles saisonniers.

Toutefois, beaucoup de ces travailleurs migrants saisonniers se retrouvent bloqués aux frontières du fait de la fermeture de ces dernières, en particulier entre la République tchèque et la Hongrie. L’Allemagne a aussi énormément besoin de ces travailleurs, en particulier roumains, qui cultivent l’asperge, appelée « or blanc » outre-Rhin. Le Royaume-Uni a beaucoup de mal à trouver des personnes pour récolter les pommes de terre et les framboises.

La France a déjà lancé un appel à la mobilisation générale pour aider pour les travaux des champs, et de nombreux Français ont répondu à l’appel. Certaines régions ont fait appel aux réfugiés, et pas nécessairement les plus qualifiés. De son côté, le Portugal a régularisé ses demandeurs d’asile pour leur permettre de bénéficier des mêmes protections sanitaires que les locaux.

Alors que l’Europe se ferme pour contrer le coronavirus, cette crise nous fait percevoir la dépendance dans laquelle nous sommes vis-à-vis des travailleurs migrants saisonniers, et d’une agriculture de proximité respectueuse de l’environnement et de la santé humaine. Ces travailleurs se retrouvent souvent bloqués à la frontière, que ce soit pour aller travailler ou rentrer chez eux, et ce besoin ne peut occulter le fait que les discours anti-migrants se propagent dangereusement dans le monde.

Par Marine Guichard, le

Source: New York Times

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  • Là, ils me font rire les agriculteurs,eux qui critiquent si souvent l’Europe et la PAC.
    Il étaient bien contents de trouver des européens à exploiter,n’est ce pas Melanchon!
    Décidément ce virus révèle nos failles!