
Après plus de deux décennies d’interrogations, une équipe internationale d’archéologues et de scientifiques a enfin percé le mystère entourant une tête en marbre découverte en 2003. Cette sculpture, exhumée dans l’ancienne cité grecque de Chersonèse, aujourd’hui Sébastopol en Crimée, représente une matrone romaine. Après des recherches approfondies, il s’avère qu’il s’agit du portrait de Laodicé, une femme influente dont l’action politique a permis à sa ville d’obtenir un statut exceptionnel de liberté sous l’Empire romain.
Une découverte exceptionnelle dans un contexte unique
La tête en marbre a été retrouvée dans le sous-sol d’une vaste maison romaine de 718 m², située près des structures clés de la cité, comme le théâtre et l’agora. Contrairement à de nombreuses sculptures antiques découvertes hors contexte, celle-ci reposait dans une couche archéologique clairement définie. À proximité se trouvaient des pièces de monnaie, des poteries, ainsi qu’un petit autel en céramique représentant les divinités Artémis et Apollon. Ce cadre précis a permis aux chercheurs de dater la sculpture avec une grande exactitude.
Bien que le nez et certaines parties du visage aient été brisés avant son enfouissement, l’œuvre conserve des détails d’une finesse remarquable. La base de son cou montre un emplacement pour un goujon métallique, confirmant qu’elle appartenait à une statue de près de deux mètres de haut. Cette statue devait probablement trôner dans un espace public comme l’agora avant d’être déplacée et réutilisée comme matériau de remplissage.
Quand la science éclaire l’histoire
Pour identifier la sculpture, les chercheurs ont mobilisé une impressionnante palette d’outils scientifiques. La datation au radiocarbone a permis de situer son enfouissement entre 60 et 240 de notre ère, avec une probabilité forte pour la fin du IIe siècle. L’analyse isotopique a montré que le marbre provenait des carrières de Paros, réputées pour leur pierre d’une blancheur éclatante, généralement réservée à des commandes de prestige.
Les investigations chimiques ont révélé des traces de pigments rouges et des marques de restaurations antiques, preuve que la statue fut entretenue et admirée pendant longtemps. L’étude des outils utilisés indique un travail de haute virtuosité, nécessitant au moins onze instruments différents, du ciseau aux abrasifs.
Sur le plan esthétique, la tête combine un réalisme romain tel que les rides, peau relâchée, oreilles marquées par l’âge, et un idéalisme grec, avec des traits frontaux adoucis et une coiffure sophistiquée. Celle-ci rappelle la mode dite du « melon », prisée par les impératrices comme Faustine l’Ancienne.

L’identification de Laodicé
Le lien avec Laodicé a été établi grâce aux inscriptions découvertes à Chersonèse. Un piédestal dédié à cette femme décrit Laodicé comme la fille d’Héroxène et l’épouse de Titus Flavius Parthenocles, un notable ayant obtenu la citoyenneté romaine sous l’empereur Vespasien. L’inscription, datée du deuxième quart du IIe siècle, mentionne qu’une statue a été érigée en son honneur pour ses contributions à la ville.
Cette distinction est liée à l’obtention par la cité du statut d’eleutheria, c’est-à-dire de ville libre, sous le règne de l’empereur Antonin le Pieux dans les années 140 après J.-C. Après plusieurs tentatives diplomatiques infructueuses, Chersonèse parvint enfin à préserver son autonomie tout en restant alliée de Rome. Bien que les détails exacts de l’action de Laodicé demeurent inconnus, le fait qu’elle ait été honorée par une statue publique prouve qu’elle fut perçue comme une actrice essentielle de cette réussite.
Le portrait de Laodicé remet en question les perceptions traditionnelles du rôle des femmes dans la société romaine. Alors que les matrones étaient souvent cantonnées à la sphère domestique, l’exemple de Laodicé montre que les femmes de l’élite pouvaient jouer un rôle significatif dans la diplomatie et la vie civique, même dans les régions périphériques de l’empire.
La position stratégique de Chersonèse sur la mer Noire rendait cette ville particulièrement dépendante d’un équilibre délicat entre autonomie locale et fidélité à Rome. Des familles influentes comme celle de Laodicé jouaient un rôle clé dans cette dynamique. Le choix du marbre de Paros, rare en dehors des grands centres, souligne également le prestige de Laodicé et les ambitions de sa cité. Par ailleurs, des fouilles au Soudan révèlent les « mensonges » de l’Empire romain.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Source: Arkeonews
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