Douze ans avant la publication de l’incontournable 1984 de George Orwell, la romancière britannique Katharine Burdekin imaginait un monde contrôlé par les nazis où Hitler est vénéré comme un dieu et où l’amour n’existe plus.
UNE ÉCRIVAINE MILITANTE
Née en 1896 à Spondon, dans le comté du Derbyshire, Katharine Burdekin est considérée comme une romancière de littérature futuriste et fantastique. Au cours des années 1930, elle publie 6 romans, dont le très sous-estimé « Swastika Night ».
Dans ses ouvrages, cette écrivaine définitivement en avance sur son temps aborde des sujets profonds comme la rationalité, la place de la femme dans la société de l’époque, ou la question du genre. À partir de 1934, ses prises de position militantes la poussent à utiliser le pseudonyme masculin de Murray Constantine.
Swastika Night parait en 1937. À cette époque, la Grande Bretagne poursuit une politique d’apaisement envers l’Allemagne et son führer, et la guerre semble encore bien loin. L’ouvrage de la romancière Katharine Burdekin imagine un monde cauchemardesque, 700 ans après la victoire des nazis.
KATHARINE BURDEKIN IMAGINE UN MONDE DIRIGÉ PAR LES NAZIS 700 ANS APRÈS LA VICTOIRE DU IIIe REICH
Dans cette dystopie, Hitler est devenu une divinité, et les femmes sont considérées comme des sous-êtres, « des animaux qui parlent », comme le précise l’un des personnages du roman. Burdekin évoque les dangers de la supériorité raciale et masculine, non seulement pour les femmes et les non-nazis, mais également pour les plus hauts représentants de ce régime totalitaire.
L’intrigue débute dans la « Chapelle du Saint Hitler« , une église en forme de croix gammée. Hitler est devenu une icône religieuse et il est représenté comme un blond aux yeux bleus qui n’aurait pas été enfanté par une femme.
Au cours des décennies qui ont suivi « la Guerre de Vingt Ans », l’Allemagne victorieuse a compris qu’il serait plus aisé de contrôler le peuple en usant de la religion plutôt que de la force (bien que cette dernière reste omniprésente).
La société nazie est organisée en strates rigides. Les Chevaliers, descendants directs de 3 000 hommes patiemment sélectionnés par Hitler, trônent au sommet, viennent ensuite les hommes allemands, connus sous le nom de Nazis, puis les hommes nés à l’étranger, appelés « hitlériens ».
Considérées comme très largement inférieures aux hommes, les femmes vivent dans des districts séparés à l’intérieur de cages, et sont endoctrinées dès l’enfance : elles ne doivent jamais s’opposer à un homme (le concept du viol n’existe plus), et doivent se séparer de leurs nouveaux-nés garçons sans faire d’histoires.
Alfred, le héros du livre, se rend en Allemagne à l’occasion d’un pèlerinage. Si ce britannique se considérant comme un libre penseur n’imagine pas une seconde que Hitler soit un dieu ou que les Nazis lui soient supérieurs, il ne considère pas pour autant que les femmes méritent un meilleur sort.
Bien que quelques rébellions éphémères aient eu lieu au cours des siècles précédents, la plupart des gens s’est adapté à cette société totalitaire. Dans son système rigide, l’État achète la paix sociale en fournissant logement, nourriture et soins aux personnes âgés, et les hommes comme Alfred mènent une existence plutôt paisible.
UNE SUPÉRIORITÉ RACIALE ET MASCULINE REMISE EN QUESTION
Les limites de cette supériorité raciale et masculine apparaissent clairement au héros lorsqu’il rencontre le Chevalier Friedrich von Hess, qui lui explique que sous la domination allemande, personne n’a été capable d’écrire de nouvelles musiques ou de développer de nouvelles formes d’art.
Dans le monde imaginé par Burdekin, les femmes sont tellement abattues qu’elles ne peuvent se révolter. Leur résistance est en fait biologique. Celles-ci cessent de donner naissance à des filles, et menacent ainsi directement la pérennité de la race allemande.
La force de l’ouvrage de la romancière britannique réside dans sa compréhension profonde du puissant attrait de l’idéologie et des graves dérives qu’elle peut entrainer.
Alfred estime que lorsque la guerre s’est achevée, les gens ont préféré croire qu’ils avaient succombé à un dieu plutôt qu’à des armées de simples hommes, et il a fallu attendre 700 ans pour que certains sujets allemands commencent à remettre en question ces croyances réconfortantes.
Selon lui, les hommes, qu’ils soient chevaliers, nazis, hitlériens ou chrétiens persécutés, ont peu à peu accepté le sort réservé aux femmes, parce qu’ils pensaient qu’elles n’étaient que « le reflet des désirs des hommes », bien qu’il estime toutefois que les femmes ont également leur part de responsabilités.
Comme l’explique le chevalier Von Hess, « elles pensaient que si elles faisaient tout ce que les hommes leur disaient de faire de bonne grâce et de bon cœur, les hommes, d’une manière ou d’une autre, les aimeraient encore davantage ».
« ELLES PENSAIENT QUE SI ELLES FAISAIENT TOUT CE QUE LES HOMMES LEUR DISAIENT DE FAIRE DE BONNE GRÂCE ET DE BON CŒUR, LES HOMMES, D’UNE MANIÈRE OU D’UNE AUTRE, LES AIMERAIENT ENCORE DAVANTAGE »
Au lieu de cela, l’amour est devenu impossible, et c’est là l’élément clef du roman de Burdekin. Si le fait de vivre dans une telle société finit par sembler tout à fait tolérable pour la plupart des personnes qui composent ses différentes strates, les perspectives qui en découlent pour la vie humaine s’avèrent extrêmement sombres et limitées.
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