Si vous lisez ces mots, alors vous savez ce qu’est Internet. Vous en saisissez le concept et pouvez en apprécier les implications dans votre vie à chaque utilisation d’un service en ligne, Google en tête. Le sujet a d’ailleurs été bien exploité et les œuvres traitant des conséquences de notre vie virtuelle sur notre réalité sont légion. Toutefois il en est une qui avait pris de l’avance et qui jouit alors d’une certaine innocence. En 1998, Serial Experiments Lain tente de prédire et prévoir l’avenir de notre Internet avec les yeux d’une enfant. Une série aussi riche que perturbante, aussi bizarre que fascinante.

Lain Iwakura, 14 ans, reçoit un message électronique venant de la part d’une camarade de classe qui s’est suicidée il y a peu. Elle y explique son geste et dit avoir abandonné son corps pour rejoindre le Wired, la version évoluée de notre Internet. Lain est une fille introvertie et n’est pas du genre à se mêler des affaires des autres, mais ce témoignage l’interpelle. Elle va alors s’immerger dans cette toile virtuelle jusqu’à s’y perdre, ou s’y trouver.

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L’ambiance est posée, pesante. Le personnage principal est monotone, apathique, au mieux tourmenté et difficile à cerner. La narration s’avance sous forme de questions nous laissant observer la vie de Lain depuis sa boite crânienne. Dans ce cerveau effervescent qui nous bombarde d’interrogations, l’information est furtive, rapide, impossible de suivre le fil qui nous mènerait à la réponse.

Pour essayer de comprendre ce qu’est Serial Experiments Lain, il faut commencer par replacer la série dans son contexte. Nous sommes en 1998 lorsque les 13 épisodes réalisés par Ryutaro Nakamura sont diffusés pour la première fois. Facebook n’existe pas. Twitter n’existe pas. YouTube n’existe pas. Wikipedia n’existe pas. Même Google n’existe pas. Internet comme nous l’entendons, n’existe pas. Pourtant tout sera fait, décrit, questionné, par anticipation, en mettant en scène une version évoluée de notre toile, de ce qu’elle aurait pu être, ou sera peut-être. À une époque où seuls 2 % de la population mondiale avaient accès au Web, il faut une sacrée capacité d’analyse.

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De l’anticipation donc, sur les problèmes et questions que cette nouvelle forme de vie parallèle, virtuelle va occasionner. Dépendance, dérive, déconnexion avec le monde réel, influence de l’information et propagation des rumeurs. C’est une profonde analyse qui soulève des questions sociales, philosophiques, théologiques, psychologiques et j’en passe. Encore des questions, rien que des questions. Bref on est perdu, il faut l’admettre carrément, avec le sentiment d’être enfermé dans un labyrinthe limbique dans l’attente d’une validation de nos interprétations où vient la frustration. Un délice.

Soyons clairs, il y a plusieurs niveaux de lecture et il vous faudra voir les 13 épisodes plusieurs fois pour en apprécier chaque couche. Vous accompagnez Lain, vous faites partie de sa conscience. Vous la suivez sur ce chemin de la découverte d’une autre existence, le développement d’une nouvelle entité. Lain sera donc confrontée à elle-même. Une version libre et interconnectée avec le reste du monde qui va entrer en collision avec sa version introvertie et effacée du monde réel.

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Deux versions donc. La vraie et la fausse. Pourquoi fausse d’ailleurs ? Est-ce que ces deux Lain ne sont pas simplement les deux faces d’une même pièce ? Aussi dépendantes l’une de l’autre qu’une lame doit avoir un manche pour être tenue et un manche une lame pour être utile ? Cette Lain qui cherche l’essence et la raison du Wired est donc réelle elle aussi ? Alors quelle est la limite du monde réel ? Une ambivalence forte et floue embrumera encore un peu plus la série. Lain se retrouvera confrontée aux conséquences réelles de son existence virtuelle, vécue parfois comme un vol d’identité. C’est à en devenir schizo ou parano, une autre question qui nous sera posée.

Serial Experiments Lain pose donc des questions, en masse, jusqu’à nous noyer. Néanmoins les réponses existent. Certains éléments graphiques ou de la narration peuvent sembler bâclés, ou insignifiants, mais prendront tout leur sens plus tard comme pour récompenser la curiosité et la ténacité. Aucune vérité ne vous sera délivrée. Aucune aide ne vous sera apportée. C’est votre interprétation qui devra évoluer en fonction de votre degré d’implication dans l’œuvre.

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L’aspect graphique fait évidemment partie intégrante du message diffusé avec des codes remaniés de l’animation japonaise. Des textes sont projetés dans des effets psychédéliques comme pour imprimer la question sur notre rétine. La qualité technique ou le réalisme ne sont absolument pas recherchés et laissent place à des détails troublants ou des effets de contrastes perturbants. Le sol sera éblouissant, blanc et monochrome, lorsque l’ombre sera franche et revêtue de reflets étranges, comme pour trancher avec l’aspect réel des personnages. Comme pour affiner la limite entre les deux mondes.

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À une époque où Internet n’étais pas encore Internet, la réalité virtuelle un fantasme, les consciences collectives une perspective, une série animée venant du Japon a voulu traiter le sujet. L’un des premiers à l’avoir tenté, l’un des meilleurs à l’avoir fait. Serial Experiments Lain vous posera des questions pertinentes et profondes sur l’implication des nouvelles technologies dans notre monde et notre vie. Un délire bizarre qui intrigue, qui dérange, qui fascine, qui obsède.

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