Depuis l’essor des réseaux sociaux, des millions de personnes vivent dans une sphère du « like », du partage et du retweet. La reconnaissance par écrans interposés a fait naitre de nouvelles habitudes telles que le selfie. Un geste quotidien devenu une nouvelle cause de mortalité. Focus sur un comportement narcissique et parfois vraiment bête.
Le selfie semble être un phénomène inoffensif effectué dans le seul but de montrer nos exploits à nos amis. Pour preuve de l’ampleur du selfie sur notre quotidien, une étude a rapporté que l’autoportrait représente 30 % des photos postées en ligne chez les 18-24 ans. Cependant, les faits divers annonçant des morts à cause de selfies se multiplient d’année en année.
Dans la même journée du 5 juillet 2016, deux touristes sont morts au Pérou en voulant prendre un selfie d’un point de vue trop haut. Ces deux chutes mortelles ne sont que les deux dernières d’une série entamée depuis la naissance de cette habitude. En 2014, un couple de touristes est mort sous les yeux de leurs enfants en tombant d’une falaise au Portugal. Mars 2016, un homme meurt d’une balle dans la tête en prenant un selfie avec une arme à feu. Septembre 2015, un adolescent russe chute de neuf étages en voulant prendre un « risky selfie », soit littéralement un « selfie risqué ».
La liste est longue, une étude décompte 49 morts de ce type depuis 2014. Selon la même étude, le selfie causerait plus de morts que les attaques de requins. 28 morts par selfie ont été décomptées en 2015 contre seulement 8 par attaque de requin. 40 % de ces décès sont survenus en Inde. Selon les statistiques, les victimes de ce type de décès seraient majoritairement des hommes d’une vingtaine d’années. Bien que ces accidents restent encore marginaux, une page Wikipédia a été créée pour les référencer.
Le selfie a provoqué 22 décès depuis le début de l’année 2016. Bien entendu, ce n’est pas la photo en elle-même qui provoque la mort, mais le comportement à risque lié à la recherche de sensation pour détonner sur les réseaux sociaux. Ainsi, le selfie pourrait être perçu comme n’importe quel comportement à risque à l’instar de l’état d’ivresse ou l’influence de stupéfiants.
Ce geste devenu quotidien révèle beaucoup de choses sur notre société actuelle. La psychologue et philosophe Elsa Godart a analysé cette nouvelle habitude dans son livre Je selfie donc je suis. « Le selfie serait apparu en 2002 sur un forum en ligne australien (ABC Online), dérivé du terme anglais self, qui signifie « soi » et parfois « étant seul », auquel on aurait ajouté le suffixe argotique et affectif « ie ». De là, révolution technologique aidant, il s’est rapidement étendu au monde entier. (…) En 2013, selfie a été élu « mot de l’année » dans les dictionnaires d’Oxford et, en 2016, il est présent dans les dictionnaires français. Désormais, impossible de faire sans, » explique-t-elle.
Elle analyse également le geste en lui-même. « Le selfie est l’emblème de nombreuses révolutions dans lesquelles nous nous trouvons entraînés. Tout d’abord, le selfie ne pouvait avoir lieu sans une révolution technologique : l’arrivée du numérique a amorcé un certain nombre de ruptures qui ont bouleversé en profondeur nos modes de vie. Cette évolution a entraîné une modification radicale de notre perception du monde, que l’on peut qualifier de révolution humaine, et dans laquelle deux changements majeurs peuvent être retenus : ceux de notre rapport à l’espace-temps et au langage. Avec le selfie, il est bien évident que c’est d’abord la « représentation de soi » qui est en jeu et qu’il impose une réflexion sur le narcissisme », commente Godart.
Au-delà de la révolution sociale et culturelle, l’intellectuel noircit le portrait du selfie. « Un tel questionnement a des répercussions dans notre rapport aux autres, à rapprocher de celles qu’amène la crise identitaire de l’adolescence entraînant ainsi une quatrième révolution, sociale et culturelle. La société se transforme ainsi peu à peu en un théâtre de représentations de nos egos, un jeu dans lequel on ne peut ignorer la dimension aussi sympathique, amicale et créative du selfie, une pulsion de vie (Eros) qui traduit une révolution érotique. Toutefois, Eros ne va pas sans Thanatos, la pulsion de mort : le selfie a sa part d’ombre dans le poids de solitude qu’il peut dissimuler, dans ses excès morbides, il manifeste une sixième révolution, pathologique », détaille-t-elle.
Face à la hausse du taux d’accidents, des pays et des organisations se mobilisent. La mairie de Mumbai, la capitale indienne, a mis en place des « no selfie » zones dans plusieurs de ses attractions touristiques. Ceux qui osent entrer dans ces zones se verront infliger une amende de 1200 roupies soit environ 15 euros, même s’ils ne prennent pas de photos. L’année dernière, le gouvernement russe a publié un guide de conseils pour prendre des selfies en restant sain et sauf. L’office de tourisme norvégien a également pris la même initiative. Des organismes de sensibilisation ont également été créés, à l’instar de #Selfietodiefor.
Vous êtes tout de suite moins rassuré à l’idée de prendre votre téléphone ? Venez vous détendre en admirant la nouvelle mode du selfie complètement déjantée : la défiguration au Scotch.
Par Margaux Carpentier, le
Source: The Next Web
Étiquettes: mort, danger, narcissisme, selfie, elsa-godart, idiot
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