Mammouths laineux, dodos, rhinocéros blancs du nord… Ces espèces ont en commun d’avoir disparu (dans le dernier cas, seules deux femelles vivent encore) de la surface de la Terre. De façon évidente pour le rhinocéros, les hommes sont responsables de cette extinction. C’est dans cette même logique que des scientifiques espèrent ramener à la vie cette espèce grâce à des cellules.
Élever des rhinocéros blancs du nord en laboratoire
Le 19 mars dernier, la communauté internationale a appris une bien triste nouvelle : Sudan, le dernier rhinocéros blanc du nord mâle est décédé à un âge avancé (45 ans) des suites d’une maladie. Triste nouvelle car il s’agissait du dernier mâle vivant de son espèce et il ne laisse derrière lui que deux femelles : sa fille et sa petite-fille (Najin et Fatu, âgées de 29 et 18 ans). Face à cette disparition désastreuse pour l’espèce, de nombreux scientifiques se sont décidés à agir. Pas question de laisser une nouvelle espèce disparaître par notre faute (le braconnage pour les cornes de rhinocéros). Dans les 30 minutes ayant suivi sa mort, une équipe de chercheurs a prélevé des tissus cellulaires (oreilles, gencives, testicules…) sur Sudan.
Les précieux prélèvements ont été mis en solution puis congelés en lieu sûr au Conservatoire OI Pejeta (Kenya) où Sudan a passé ses neuf dernières années. L’idée des chercheurs est d’utiliser ces cellules pour ramener « à la vie » les rhinocéros blancs du nord, à partir de ce matériel génétique. Une douzaine de scientifiques à travers le globe (USA, Europe, Afrique) travaillent sans relâche pour trouver un moyen d’élever en laboratoire des rhinocéros blancs. Le projet s’inspire de ceux mis en oeuvre pour ramener à la vie le mammouth laineux ou le pigeon migrateur, deux espèces éteintes. Tenter de rattraper nos erreurs, tel est l’objectif d’un tel projet.
Une responsabilité qui nous incombe
Contrairement aux cas du mammouth et du pigeon, les chances de succès pour sauver de l’extinction le rhinocéros blanc du nord sont plutôt élevées. La raison : d’une part, l’espèce ne s’est pas éteinte il y a des siècles et d’autre part, les chercheurs possèdent du sperme et de l’ADN de rhinocéros blanc du nord. Ces matériaux précieux sont préservés en sécurité dans différents laboratoires. En cas de succès, des troupeaux de rhinocéros blancs pourraient à nouveau s’établir dans la savane africaine, où ils ont été chassés pour leurs cornes… Jan Stejskal, le directeur de la communication et des projets internationaux du zoo de Dvur Kralove (République Tchèque), le rappelle : « Ils sont au bord de l’extinction uniquement à cause de l’activité humaine ». Selon lui, « si nous avons les moyens ou les techniques pour les aider à survivre, c’est notre responsabilité de le faire ».
Si une telle idée a longtemps été considérée comme de la science-fiction, aujourd’hui la science a semble-t-il les moyens d’y parvenir. L’exemple du projet de ramener à la vie le mammouth laineux en est la preuve, même si ce dernier fait davantage débat à cause de la date d’extinction de l’espèce et du risque de le réintroduire dans un habitat (la toundra sibérienne et nord-américaine) grandement chamboulé. Dans le cas du rhinocéros blanc du nord, les risques existent et le projet est onéreux.
Un projet au coût élevé mais qui fait sens
Selon le zoo de Dvur Kralove (où Sudan avait vécu jusqu’en 2009), élever en laboratoire des troupeaux de rhinocéros blancs coûterait dans les neuf millions de dollars. La majorité de l’argent viendrait de donations et des moyens du zoo. Pour le zoo de San Diego (Californie), également impliqué dans le projet, une estimation est à l’heure actuelle impossible car la technologie nécessaire est en phase de développement. Selon Stacey Johnson, le directeur de recherche et de conservation au zoo de San Diego, « sur les trois dernières années, le budget annuel total a été dépassé d’un million de dollars ». Néanmoins, si le coût est élevé, le projet est fondamentalement différent de celui du mammouth laineux et en cela, l’investissement vaut le coup. Même pour Joseph Bennett, un assistant professeur de l’Université de Carleton, qui est un opposant au projet de repeuplement d’espèces éteintes.
La différence est notable : déjà, le rhinocéros blanc du nord n’a pas encore complètement disparu (reste les deux femelles Najin et Fatu qui vivent sous surveillance armée au Conservatoire OI Pejeta. Ensuite, contrairement à celui du mammouth laineux, l’habitat du rhinocéros blanc du nord existe toujours. « Cela me paraît bien plus sensé de travailler là-dessus que de vouloir ressusciter une espèce disparue il y a 10 000 ans et qui ne survivrait peut-être pas dans l’Arctique qui se réchauffe », affirme Bennett. Comme rappelé précédemment, le rhinocéros blanc du nord a disparu de la vie sauvage en 2008, à cause du braconnage pour les cornes. Cela rend les humains responsables de leur survie également. « Si nous sommes responsables de cette extinction, nous sommes aussi sur la brèche pour trouver un moyen d’arranger la situation », assène Douglas McCauley, un écologiste et biologiste à l’UC de Santa Barbara. Egalement opposé au projet à la base, il reconnaît que cela a du sens, dans la mesure où les rhinocéros ont un rôle important dans la régulation de la végétation et en réduisant le nombre de rongeurs et de serpents. Toujours selon McCauley, l’extinction ayant lieu maintenant, cela revient plus à être Noé qu’à jouer à être Dieu.
Un plan basé sur l’utilisation des cellules de Sudan
C’est en 1986 au zoo de Dvur Kralove que tout a commencé. Olivier Ryder, le directeur de la Conservation génétique du zoo de San Diego, avait fait le voyage pour collecter des cellules de la peau de Sudan. A l’époque, Ryder étudiait les rhinocéros blancs du nord (massacrés en Afrique pour leurs cornes en ce temps-là) pour savoir s’ils étaient une sous-espèce des rhinocéros blancs du sud (plus robustes et vivant en Afrique du sud). Malgré le stress entourant l’opération, tout s’est bien déroulé et les prélèvements ont été conservés au frais dans le zoo de San Diego. A cette époque, Ryder ne pensait pas que cela serait un jour la clé pour sauver l’espèce. Même s’il avait pensé que cela pourrait servir un jour ou l’autre, il « n’était pas aussi visionnaire que cela ». En 2015, soit 29 ans plus tard, Ryder, Stejskal et les autres se réunirent à Vienne pour concevoir un plan utilisant les cellules et le sperme prélevés afin d’inverser le processus d’extinction.
Le plan implique des techniques déjà utilisées avec les humains et des souris, mais jamais avec une espèce comme le rhinocéros. « Dans ce cas précis, on ne le fait pas parce que l’on sait que ça va marcher, mais on le fait car c’est la bonne chose à faire », affirme Stejskal. La première option envisagée : utiliser le sperme congelé pour fertiliser des ovules de femelles rhinocéros dans une boîte de Pétri. Deux problèmes se posent : la technique n’a jamais été utilisée avec cette espèce et plus important, aucun ovule n’a été prélevé sur une femelle rhinocéros blanche (cela demande des outils pointus et complexes). C’est dans cette optique que des ovules de rhinocéros blancs du sud vont être prélevés à des femelles qui n’auront pas d’enfants (moins risqué et très proches génétiquement). Autre technique envisagée : la création en laboratoire de sperme et d’ovules, en utilisant des cellules souches. Même si cela semble ambitieux, Jeanne Loring y est parvenue dans son laboratoire (directrice du centre de Médecine régénératrice de l’Institut de recherche Scripps).
Réussira, réussira pas ? Aujourd’hui, il est impossible de savoir si les scientifiques parviendront à repeupler la savane africaine avec ces majestueux rhinocéros blancs du nord. Du côté pour, il y a un plan précis, des scientifiques talentueux et obstinés et surtout une cause noble. Du côté contre, le caractère onéreux de l’entreprise, les risques techniques nombreux et surtout le facteur temps : plus on attend, plus l’écosystème change et le projet devient risqué. Une chose est certaine : le rhinocéros blanc du nord est une emblème de notre époque et de l’impact des humains sur la vie sauvage. La balle est dans notre camp, une nouvelle fois.
Par Thomas Le Moing, le
Source: The Verge
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