La nouvelle a de quoi faire trembler : le QI moyen des populations occidentales baisse. Le phénomène, continu depuis une quinzaine d’années, a encore été observé chez de jeunes conscrits européens dans une récente étude. Comment expliquer cet affaissement intellectuel ?
Une baisse constante et généralisée
Oui, le QI est un indicateur imparfait. Il comporte de nombreux biais, notamment culturels. Non, l’intelligence ne se mesure pas à l’aide d’un chiffre, le problème étant bien plus complexe. Et pourtant, ce test psychométrique créé au tournant du XXe siècle reste, dans l’imaginaire collectif comme dans les milieux scientifiques, l’étalon type quand il s’agit de mesurer de manière standardisée l’intelligence d’un individu.
C’est pourquoi, même si l’on peu gloser à l’infini sur la définition de l’intelligence, il ne faudrait pas négliger les résultats inquiétants des nombreuses mesures de QI effectuées ces 20 dernières années en Europe. En 2013, une étude publiée dans la revue Intelligence tirait la sonnette d’alarme au Royaume-Uni : dans le pays du pionnier de la psychométrie Francis Galton, l’intelligence baisse de manière drastique. Entre 1884 (année de la première mesure) et 2013, le QI moyen a baissé de 14 points pour s’établir à 100. En France, les études menées entre 2002 et 2006 concluent à une diminution de près de 4 points du QI moyen (qui tombe donc à 98). Des résultats comparables ont été observés en Australie, aux Pays-Bas, au Danemark, en Norvège, en Suisse…
L’inversion de l’effet Flynn
Ces scores qui restent honorables, n’ont rien de dramatique : les records, détenus par Taïwan et Hong-Kong, plafonnent à 108 de moyenne. Mais la tendance globale dans les pays dits occidentaux est donc à la baisse générale du quotient intellectuel. Or il pourrait s’agir d’un fait historique. De l’invention de la psychométrie aux années 1990, la progression des cohortes étudiées dans les tests de QI a été lente, mais constante et générale. Observé par James R. Flynn, qui lui a donné son nom, l’effet Flynn s’est vérifié tout au long du XXe siècle. Par exemple, les tests montrent une progression de 21 au Pays-Bas entre 1952 et 1982.
Cette constante amélioration du QI moyen a été permise par plusieurs facteurs. Tout d’abord des meilleures conditions de vie : amélioration de la nutrition (qui a permis notamment de réduire les carences alimentaires des populations les plus vulnérables qui avaient justement le QI le plus faible de l’échantillon) et massification de l’éducation. Ensuite des progrès médicaux, qui ont notamment résolu le problème des carences en iode qui frappaient certaines régions comme les Alpes, ou les avancées de la médecine pré-natale (avec moins d’accidents obstétricaux entraînant une mauvaise oxygénation du cerveau).
Un effet de la modernité ?
Notre siècle serait-il donc celui de la régression généralisée de l’intelligence dans les pays riches ? Avant de pousser des cris d’orfraie sur l’effondrement de nos systèmes éducatifs, il faut noter que ce phénomène a été constaté dans des pays aux systèmes scolaires très différents (et parfois reconnus comme performants dans les classements tels que PISA). L’abrutissement provoqué par l’avènement du numérique ne tient pas non plus la route. En effet, les QI moyen les plus élevés sont observés en Asie, dans des sociétés très technophiles comme la Corée du Sud.
Une autre explication avancée est celle de la généralisation de la consommation de cannabis, puisque certaines études ont montré qu’à la différence de la plupart de drogues, l’usage excessif de cannabis pouvait provoquer une baisse de QI jusqu’à 8 points. Cependant on peine à comprendre comment ce seul facteur expliquerait une telle baisse. Cela signifierait en effet une consommation quotidienne massive chez la quasi-totalité des échantillons étudiés, ce qui semble tout de même plutôt improbable.
Les produits chimiques dans la ligne de mire des chercheurs
Dans la ligne de mires des chercheurs, on retrouve les inévitables perturbateurs endocriniens et la pollution en tout genre. Une étude menée dans les années 1970 en Nouvelle-Zélande avait déjà prouvé l’effet néfaste du plomb sur le cerveau. Or l’industrie chimique a ces dernières décennies multiplié dans notre environnement de nombreuses substances néfastes. En plus de bouleverser le système reproductif humain, ces perturbateurs seraient extrêmement mauvais pour le cerveau. Ils auraient en outre des effets dès la gestation, comme l’a montré une étude sur des femmes enceintes exposées aux phtalates.
En outre de nombreux produits chimiques interfèrent avec la thyroïde, essentielle dans le développement du cerveau. DTT, PCB, bisphémol A, pesticides, etc., tous ces produits se sont multipliés ces dernières décennies. » Un grand nombre des molécules inventées par la chimie pour les besoins de l’industrie, parce qu’elles contiennent d’autres halogènes que l’iode, sont susceptibles d’interférer avec le système thyroïdien et de l’empêcher d’orchestrer harmonieusement le développement du cerveau « , explique Barbara Demeneix, physiologiste et auteur du Cerveau endommagé.
L’explication démographique
Une dernière explication assez iconoclaste peut être avancée, de l’ordre de la génétique (le QI étant au moins en partie héréditaire) et de la démographie. Une étude publiée dans la revue PNAS l’an dernier montrait (avec un panel important de 100 000 islandaises) que les femmes aux niveaux d’études les plus élevés (ce qui peut être assez souvent corrélé au QI) avaient moins d’enfants que les femmes non éduquées. En cause, de plus longues études et donc une première maternité retardée. De plus, les personnes aux capacités cognitives réduites ne sont plus exclues de la société comme auparavant. Un bienfait moral et civilisationnel qui se payerait donc par un QI réduit chez leurs descendants…
Pourtant, une autre hypothèse n’est pas retenue : celle que la dégradation continue des conditions de vie d’un point de vue économique, avec l’effondrement des moyens alloués à nos systèmes éducatifs et sanitaires sous l’effet des réformes économiques, puisse, sur de nombreuses années, diminuer les capacités intellectuelles moyennes. Ce qui expliquerait pourtant l’inversion plus précoce et forte de l’effet Flynn en Grande-Bretagne que chez ses voisins nordiques.
Par Tristan Castel, le
Source: Europe 1
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