Remédier à la pénurie d’organes humains pour les greffes en prélevant ceux de porcs. L’idée ne date pas d’hier, mais pourrait bien finir par se concrétiser notamment grâce à nos progrès fulgurant en matière de manipulation génétique.
Une idée ancienne
C’est ce qu’on appelle une xénogreffe. Là où la courante allogreffe consiste à transplanter un greffon (comme un organe) d’un donneur à un receveur de la même espèce, la xénogreffe permet la transmission d’un greffon d’une espèce à une autre. L’idée taraude les scientifiques depuis les premières greffes réussies au XXe siècle. Ainsi en 1905, un médecin lyonnais tentait de greffer le rein d’une chèvre sur une femme. Un échec cuisant. Plus chanceux, en 1963, un médecin permit tout de même à une jeune fille ayant reçu un rein de chimpanzé de survivre neuf mois de plus.
À ce jour, les seuls succès de xénogreffes concernent de petits greffons, comme des tendons en orthopédie, et surtout des valves cardiaques. Toutes ces réussites ont eu lieu en transférant des organes porcins sur des humains. En effet, par le poids de ses organes et sa proximité génétique avec l’homme, cet animal reste le candidat idéal pour remédier à la dramatique pénurie de donneurs humains (des dizaines de milliers de malade sont en attente d’un donneur d’organe dans le monde).
Prouesse génétique
Mais proximité génétique ne signifie pas compatibilité. Dans les années 1990, alors que les premiers grands progrès dans le séquençage du génome ont lieu, c’est la douche froide pour les scientifiques les plus optimistes. On découvre en effet que les porcs sont porteurs dans leur ADN même de virus, les PERV (Porcine Endogenous Retrovirus), potentiellement transmissibles à l’homme. Surtout, notre système immunitaire les reconnaît et les combats, ce qui provoque un rejet de la greffe.
Les scientifiques vont ainsi se mettre en quête d’identifier les 62 gènes concernés, puis de tenter de les modifier. Pour cela, ils disposent aujourd’hui d’une technologie qui change les règles du jeu : les « ciseaux » Crispr Cas9, qui permettent de couper directement dans le génome, le tout de manière plus rapide et moins onéreuse qu’auparavant. On peut désormais s’attaquer à ces gènes problématiques, ce que va faire une équipe américaine dès 2015.
« Les animaux les plus génétiquement modifiés au monde »
Dans leur quête de l’animal parfait, réservoir à organe élevé pour sauver l’homme, Luhan Yang et George Crunch ont joué aux apprentis sorciers. Ce dernier n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai : utérus artificiel, génome humain artificiel , projet de résurrection du mammouth…Les idées folles de ce généticien d’Harvard ont déjà fait les gros titres. Mais cette fois il aurait fait mouche, si l’on en croit les conclusion de l‘étude publiée dans le magazine Science. Les PERV ont bien été génétiquement désactivés.
Les 37 porcelets sont aujourd’hui en parfaite santé. Ce qui n’était pas gagné : en effet la modification du génome est une science éminemment complexe et somme toute très empirique. On ne sait jamais quelles conséquences ont les « coupes au ciseau » sur les autres gènes, ni ce qu’elles peuvent provoquer en terme de mutations sur plusieurs générations. Mais les effets secondaires sont courants. La santé des « animaux les plus génétiquement modifiés au monde » (dixit Luhan Yang) sera donc scrutée de près.
Un petit pas pour la génétique, un grand pas pour la médecine
Le grand voyage des ces petits porcelets âgés de quatre mois vers la mutation génétique devrait se poursuivre. Maintenant que les virus transmissibles à l’homme qu’ils portaient dans leur ADN ont été écartés, il reste à « humaniser » leur génome pour rendre leurs organes encore plus compatibles avec les nôtres. De nombreux autres scientifiques partagent cette ambition, mais nos deux amis ont pour l’instant les meilleurs cobayes (qui sont, soit dit en passant, en excellente santé pur l’instant).
On espère ainsi les premiers tests sur l’homme à un horizon de 5 à 10 ans. Les chercheurs comptent agir avec la plus grande prudence. Dans un premier temps, ils pensent tenter des opérations de transfert du cochon au chimpanzé. Les risques en terme de maladies comme de bouleversement irrémédiable de l’ADN sont réels. Il faudra donc avancer à tâtons, avec l’espoir qu’un jour le cochon sauve des vies. Nos deux compères n’ont pas perdu de temps : leur société eGenesis lance déjà des tests en ce sens.
Par Tristan Castel, le
Source: Le Parisien
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