— PedroRamosPhoto / Shutterstock.com

Une énigme archéologique tenace vient peut-être d’être résolue grâce à des analyses d’ADN effectuées par une équipe de scientifiques américains, indiquant qu’Amérindiens et Polynésiens ont été en contact des siècles avant l’arrivée des premiers Européens sur le continent américain.

Un mystère tenace

En 1947, un groupe de six explorateurs mené par l’anthropologue norvégien Thor Heyerdahl quittait le Pérou à bord d’un radeau primitif en balsa pour une épopée de 101 jours en haute mer, au cours de laquelle ils allaient parcourir 6 900 kilomètres pour rallier Raroia, dans l’archipel des Tuamotu en Polynésie. Le but de cette expérience était de répondre à une question qui a intrigué les chercheurs pendant des décennies. À savoir : Pourquoi y avait-il tant de similitudes dans certains termes, œuvres d’art et même certaines cultures entre les peuples indigènes de la côte ouest de l’Amérique du Sud et ceux de Polynésie ?

Les Polynésiens et les Sud-Américains n’ont aucun lien de parenté, ces derniers étant considérés comme descendants d’individus ayant migré d’Amérique du Nord, tandis que les premiers cités ont migré beaucoup plus tard à travers le Pacifique en provenance d’Asie du Sud-Est. Cependant, certaines œuvres d’art polynésiennes ressemblent à celles que l’on trouve dans les civilisations andines d’Amérique du Sud, tandis que certains mots andins et polynésiens présentent une consonance très similaire.

Le plus grand mystère restant que les Polynésiens cultivaient la patate douce, une plante vivace originaire d’Amérique du Sud, avec des termes utilisés pour la désigner se révélant étonnamment similaires d’une langue à l’autre, alors que ces deux peuples se trouvaient séparés par des milliers de kilomètres d’océan. À la différence des Polynésiens, naviguant sur de grandes pirogues, les Sud-Américains bénéficiaient des vents et des courants favorisant une dérive vers l’ouest, mais leurs embarcations se limitaient à de fragiles radeaux côtiers en balsa.

Photographie du Kon-Tiki en 1947 – © palnatoke / Nasjonalbiblioteket / Wikimedia Creative Commons

Des contacts intervenus plus de 200 ans avant que les Européens n’atteignent l’Amérique du Sud

Le but du voyage de Heyerdahl était de savoir si les Sud-Américains auraient effectivement été en mesure d’atteindre la Polynésie. Bien qu’il se soit terminé sur un récif, le périple du Kon-Tiki a été couronné de succès. Toutefois, il a seulement prouvé qu’un tel voyage pouvait être fait, et non qu’il avait eu lieu. Dans le cadre de ces travaux récemment présentés dans la revue Nature, des chercheurs de l’université de Stanford ont cherché à recueillir des preuves directes que Polynésiens et Amérindiens s’étaient non seulement rencontrés, mais avaient également engendré une descendance. Ce qui se refléterait logiquement dans le génome des populations modernes.

Les scientifiques ont donc réalisé un séquençage de ces différents génomes à la recherche de bribes caractéristiques de chaque population et de segments hérités des mêmes ancêtres il y a de nombreuses générations. Bien que l’ADN ait auparavant été mis à contribution pour tenter de résoudre ce mystère, avec des premiers tests tentant d’établir des liens génétiques clairs entre les patates douces cultivées en Amérique du Sud et en Polynésie, ceux-ci n’avaient pas permis d’apporter une réponse définitive.

L’équipe s’est donc concentrée sur 807 échantillons d’ADN prélevés sur des sujets issus de 17 îles polynésiennes et de 15 groupes amérindiens le long de la côte Pacifique des Amériques, du Mexique au Chili. Les climats tropicaux ayant tendance à dégrader les échantillons provenant de sites archéologiques, les chercheurs ont privilégié des échantillons d’ADN modernes. Ce qui leur a permis d’identifier des signatures génétiques communes d’ADN amérindien et polynésien remontant à plusieurs siècles en arrière (jusqu’en 1200 de notre ère, soit plus de 200 ans avant que les Européens n’atteignent l’Amérique du Sud), correspondant selon les auteurs « à l’époque où ces îles ont été colonisées par des Polynésiens natifs ».

Les Moaï de l’île de Pâques, appartenant au Chili mais située en Polynésie

« Je pense que ces travaux basés sur la génétique aident à reconstituer et à mettre en lumière ces évènements »

Selon le professeur Ioannidis, ayant supervisé les recherches, l’ADN indique un mélange génétique d’individus originaires de Polynésie et de ce qui est aujourd’hui la Colombie, ce qui suggère que les Polynésiens ont débarqué en Amérique du Sud au moins une fois, soit délibérément soit par accident, ou qu’un radeau colombien a été pris dans une tempête et a dérivé vers l’ouest.

Deux scénarios qui pourraient également expliquer la migration des patates douces du continent américain aux îles polynésiennes, que certains chercheurs estimaient précédemment due à leur dérive sur un tapis végétal naturel.

« Lorsque cette période de l’histoire est abordée, c’est presque systématiquement sous l’angle des conquêtes européennes, et vous n’entendez jamais vraiment parler des autres », estime Ioannidis. « Je pense que ces travaux basés sur la génétique aident à reconstituer et à mettre en lumière ces évènements. »

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