Afin de prévenir les futures épidémies mortelles, des scientifiques se lancent dans une course contre la montre, à la recherche des animaux et des régions où pourraient apparaitre les prochains Ebola ou Zika. Pourtant leurs travaux sont contestés par certains spécialistes, qui soulignent que la prochaine pandémie mondiale pourrait déjà être en train de contaminer des humains.

DES VIRUS TRANSMIS PAR LES ANIMAUX

Les animaux sont porteurs de nombreux virus, et dans certains cas ces virus sont transmis à l’être humain. On parle alors de zoonoses. Ce phénomène apparait très rarement, mais quand il se produit il peut créer de véritables ravages. Récemment, le Sida, les épidémies de grippes aviaires ou encore Zika ont tous été causés par des virus provenant à l’origine des animaux. Preuve des dangers de ces zoonoses, le virus Ebola, qui proviendrait de chauve-souris, a tué près de 11 000 personnes en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2015.

IDENTIFIER LES VIRUS AVANT QU’ILS N’ATTEIGNENT L’HOMME

Si nous avions un moyen de prédire quelle maladie infectieuse pourrait émerger et menacer les humains, nous pourrions peut être nous donner un coup d’avance pour démarrer une vaccination ou une politique de prévention. Mais il s’avère que le sujet est particulièrement complexe. En effet, où regarder pour prédire la prochaine pandémie ? Chez les animaux, qui portent toute une série de virus qui peut-être n’infecteront jamais les humains ? Ou chez les humains, une fois que le virus est arrivé chez nous mais qu’il n’est pas encore hors de contrôle ?

Peter Daszak, avec l’aide de l’EcoHealth Alliance, veut trouver ces virus avant qu’ils ne rendent un seul être humain malade. « Si nous autorisons ces virus à atteindre les gens, alors il est déjà trop tard », a-t-il déclaré. Pour arriver à ses fins, lui et son équipe ont constitué une gigantesque base de données qui regroupe près de 600 virus, ainsi que les 750 mammifères qu’ils ont pu infecter. Partant de ces informations, les scientifiques ont ensuite dressé des paternes pour les aider à comprendre ce qui rend un virus le plus susceptible de passer de l’animal à l’homme. Leurs recherches ont été publiées dans le journal Nature.

LES FACTEURS DE TRANSMISSIONS

De ces travaux émergent quelques tendances marquantes. Les animaux les plus proches de l’homme, aussi bien sur le plan géographique (comme les rats) que génétique (comme les singes), ont plus de chances de partager des virus avec nous. Les animaux qui portent de nombreux virus d’une manière générale (comme les chauve-souris) ont aussi de plus grands risques de porter des virus capables de nous atteindre.

Enfin, les virus transmis par les moustiques, qui peuvent infecter une grande variété d’espèces, tendent aussi à passer vers les humains de manière plus efficace. Ces tendances avaient déjà été identifiées dans des études précédentes mais les travaux de Peter Daszak viennent les confirmer à nouveau et constituent un contrôle rassurant pour Barbra Han, écologiste à la Cary Institute of Ecossytem Studies.

UNE CARTE DES ZONES À RISQUE

De ces tendances, les chercheurs ont pu établir une carte des zones susceptibles de voir des zoonose apparaitre. Sont particulièrement concernés les populations de chauve-souris en Amérique Centrale et du Sud, ainsi que les rongeurs en Amérique du Nord et du Sud. Peter Daszak souligne que ces résultats ne sont pas des prédictions mais que ces cartes peuvent aider à mieux diriger des recherches, comme celles menées par le Global Virome Project.

Ce projet de 3,4 milliards de dollars est soutenu par des organisations comme EcoHealth Alliance et vise à séquencer 99 % des virus qui pourraient un jour menacer notre espèce. Séquencer un virus constitue une des premières étapes dans la recherche d’un vaccin, d’où l’importance de ce travail. Pour Barbra Han « Ce qui est important dans le fait de trouver où la prochaine [pandémie] est susceptible d’apparaitre, c’est que cela nous donnerait un véritable coup d’avance ».

COMPRENDRE LA PROPAGATION AU SEIN DES HUMAINS

Mais pour certains scientifiques, chercher la prochaine épidémie avant même qu’elle n’atteigne l’être humain n’est pas la bonne solution. « Si la grande majorité des pandémies sont des zoonoses, la plupart des zoonoses ne causent pas de pandémies », écrit l’expert en maladie infectieuse James Lloyd-Smith dans un commentaire publié aux cotés de l’article de Nature. Pour lui, il est tout aussi important de comprendre les facteurs qui amènent un virus à se propager à travers le monde, et cela dépendrait avant tout de facteurs d’humain à humain, plus que de la transmission de l’animal à l’humain.

Il existe de nombreux obstacles avant qu’un virus animal n’arrive à atteindre une personne, et encore plus avant qu’il ne se transmette à un autre individu. « Un virus ne saute pas directement d’une chauve-souris à une épidémie chez les humains », souligne Ronald Rosenbert, chercheur en maladie infectieuses. En effet, un virus peut passer des décennies, voir des siècles, à circuler entre l’animal et l’homme avant que les conditions soient réunies pour qu’il provoque une épidémie.

LE BESOIN D’UNE MEILLEURE SURVEILLANCE DES POPULATIONS

Exemple récent, le virus du Zika a été découvert en 1947 sur des singes vivants dans les forets de l’Ouganda. Pourtant c’est seulement en 2007 qu’il a commencé à exploser chez les humains. Aujourd’hui les scientifiques sont toujours à la recherche d’un vaccin ou d’un traitement contre ce virus. Selon Rosenberg « ce n’était pas vraiment une question de savoir si nous pouvions trouver ces virus tôt chez les animaux. Nous devions les examiner plus attentivement après qu’ils aient été trouvés chez les être humains ».

Pour des experts comme Lloyd-Smith ou Rosenberg, ce dont nous avons besoin c’est d’une meilleure surveillance des populations humaines, et tout particulièrement de celles qui sont fréquemment en contact avec la faune sauvage. Cela passe par des cliniques « sentinelles » dans les points chauds touchés par les virus. Des cliniques qui pourraient dépister efficacement les patients malades, et séparer ceux atteints d’infections habituelles de ceux atteints de nouveaux maux.

Carte de la diffusion du virus Zika dans le monde en janvier 2016

LA PROCHAINE PANDÉMIE MONDIALE POURRAIT DÉJÀ ÊTRE LÀ 

Il se pourrait que la prochaine pandémie mondiale soit déjà en train d’infecter des populations entières. Faute de temps, d’argent et d’outils pour identifier les causes de chaque fièvre ou souffrance, les docteurs et les scientifiques peuvent très bien passer à coté. « Nous n’avons pas vraiment les moyens d’identifier les épidémies lorsqu’elles débutent au sein des populations humaines », souligne Rosenberg. « Nous loupons de nombreuses opportunités tous les jours »

« Il y a un vrai fossé ici » confirme Daszak. « Il y a de nombreuses épidémies qui restent non diagnostiquées ». Le chercheur espère tout de même que sa carte des zones sensibles pourra aussi aider à une meilleur surveillance des humains. Si un plus grand nombre de données ne pourra jamais briser la barrière financière pour obtenir une meilleure détection des virus dans les populations, les enjeux sont trop importants pour que l’on reste immobile. « Ma plus grande peur est que nous ne fassions rien et que nous découvrions ces virus directement en les voyant émerger et tuer des gens ».

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