Elizabeth Jane Cochrane, alias Nellie Bly, était une Américaine pionnière du journalisme d’investigation. Cette femme intrépide s’est également illustrée en devenant la première femme à accomplir un tour du monde sans être accompagnée d’un homme. Retour sur la vie de cette personnalité hors du commun.

UNE PIONNIÈRE DU JOURNALISME D’INVESTIGATION

Elizabeth Jane Cochrane naît le 5 mai 1864. Alors qu’elle n’a que six ans, son père meurt brutalement, plongeant sa famille dans le plus grand désarroi. Quelques années plus tard, sa mère se remarie à un homme alcoolique et violent. Désormais en âge de travailler, Elizabeth quitte le domicile familial et se destine à devenir enseignante. Malheureusement, elle se retrouve à court d’argent au bout d’un semestre et ne peut poursuivre ses études. Elle décide de suivre sa mère à Pittsburgh, où Elizabeth l’aide à gérer un pensionnat.

C’est à Pittsburgh qu’Elizabeth trouve sa vocation. Un certain Erasmus Wilson, qui s’autoproclame « l’Observateur discret », tient une chronique hebdomadaire dans le principal journal de la ville. En 1885, ce dernier publie un éditorial intitulé « Ce à quoi les jeunes filles sont bonnes ». La réponse se résume selon lui aux travaux ménagers. Rien de plus inconvenant et laid qu’une femme qui travaille, écrit-il, allant même jusqu’à qualifier ces dernières de « monstruosités ».

Portrait d’Elizabeth Cochrane, alias Nellie Bly, vers 1890

Profondément heurtée par ces propos, Elizabeth décide de répondre au journaliste, en signant sa lettre de façon ironique « La Pauvre Petite Orpheline ». Bien que la missive soit loin d’être un chef-d’œuvre (Elizabeth ayant quitté l’école à 15 ans), le rédacteur en chef George Madden est impressionné par la ferveur de son auteure. Il publie une annonce dans le numéro suivant du Pittsburgh Dispatch, invitant la jeune orpheline solitaire à se manifester. Elle ne tarde pas à le faire, et ce dernier lui offre un poste au sein de sa rédaction. Pour protéger son identité et sa réputation, Madden lui recommande rapidement de prendre un pseudonyme. Ils tombent d’accord sur celui de Nellie Bly, évoquée dans une chanson populaire de Stephen Foster.

Bly se révèle être une journaliste intrépide. Dès le départ, elle est déterminée à écrire des histoires qui comptent. Elle n’a pas d’expérience et peu d’éducation, mais elle est déterminée et apprend vite. Elle écrit notamment sur le travail des femmes, les lois sexistes et le divorce. Quelques mois plus tard, elle parvient à convaincre Madden de l’envoyer au Mexique d’où elle est finalement expulsée après avoir dénoncé la corruption régnant au sein du gouvernement.

Les rédacteurs du Dispatch ne sont pas satisfaits. Ils tentent de la freiner en l’obligeant à traiter des sujets évoquant les fleurs ou la mode, mais Nellie Bly ne l’entend pas de cette oreille. Elle démissionne et laisse un message glacial sur le bureau de « l’Observateur discret » : « Très cher Observateur, je pars pour New York. Attends-toi à entendre parler de moi. »

L’asile psychiatrique de Blackwell’s Island photographié vers 1900

En 1887, Nellie Bly obtient un poste au sein de la rédaction du New York World. Pour son tout premier papier, Bly accepte de feindre la folie afin d’entrer dans le lugubre asile psychiatrique de Blackwell’s Island.

Après s’être enregistrée dans un pensionnat pour femmes sous un faux nom, Bly commence à agir de façon erratique, parle en espagnol, prétend qu’elle a perdu la mémoire et exige qu’on lui remette un pistolet. Terrifié, le directeur de l’établissement appelle la police, qui traine Bly au tribunal.

Les journalistes présents dans la salle d’audience sont instantanément captivés par « Nellie Brown ». Lorsqu’elle est appelée à la barre, cette dernière évoque une histoire surréaliste mêlant négligence, abus et abandon, et le médecin qui l’examine ne tarde pas à la déclarer « folle à lier ».

Dans les jours qui suivent, le New York Sun (principal concurrent du New York World) publie un long article au sujet de cette femme énigmatique, intitulé « Mais qui est donc cette fille folle à lier ? Elle est jolie, bien habillée et parle espagnol. »

Bly passe 10 jours dans l’asile de Blackwell’s Island, durant lesquels elle est à la fois témoin et victime des horribles traitements réservés aux femmes de l’établissement. Les résidentes de l’asile sont pour la plupart des immigrées sans le sou, et certaines d’entre elles y sont enfermées uniquement parce qu’elles ne parlent pas l’anglais. Ces dernières sont battues, affamées et contraintes de prendre des bains glacés – un triste sort auquel n’échappe pas Nellie Bly.

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Après sa libération (arrangée grâce à l’intervention d’un avocat du journal), Bly consigne toutes les choses horribles qu’elle a vues et vécues dans un long article. Elle décrit en détail les horribles conditions dans lesquelles ces femmes vivent et les punitions qu’elles endurent, déclarant notamment : « Quel moyen autre que la torture vous rendrait folle plus rapidement que ce traitement de choc ? »

« QUEL MOYEN AUTRE QUE LA TORTURE VOUS RENDRAIT FOLLE PLUS RAPIDEMENT QUE CE TRAITEMENT DE CHOC ? »

Le journal publie « Dix jours dans un asile » sous forme de série. Lorsque le dernier épisode arrive dans les kiosques à journaux, tout New York parle de l’intrépide journaliste. Le travail d’investigation de Bly porte ses fruits : à l’occasion d’une enquête sur l’asile, bon nombre de ses observations sont confirmées et l’institution est fermée.

Bly devient une sorte de journaliste justicière, exposant les recoins les plus sombres de la société new-yorkaise. Partout où les femmes, les enfants et les pauvres sont maltraités, on trouve Nellie Bly. Elle s’infiltre notamment dans une clinique de la ville et parvient à s’en échapper de justesse avant que ses amygdales ne lui soient retirées. Pour les besoins de son article intitulé « Ces femmes qui produisent des boîtes à la chaîne », elle parvient à se faire embaucher dans une usine afin de raconter leur quotidien.

Elle visite également un foyer pour « femmes malchanceuses », vit pendant deux jours dans l’un des immeubles les plus malfamés de New York, et achète même un bébé au marché noir : « J’ai acheté un bébé la semaine dernière, afin de mieux comprendre ce commerce immonde. Rendez-vous compte ! Une âme immortelle en l’échange de dix malheureux dollars. »

En 1890, une grande réception est organisée à Jersey City en l’honneur de Nellie Bly, après que cette dernière eut complété son tour du monde en un temps record

Paru pour la première fois en 1873, le « Tour du monde en 80 jours » de Jules Verne est devenu un ouvrage incontournable en 1889. Lorsqu’elle en achève la lecture, Bly est persuadée qu’elle peut faire mieux, et cette dernière parvient à convaincre son rédacteur en chef de financer son ambitieux périple. Elle entre dans la légende le 25 janvier 1890 en mettant très exactement 72 jours, 6 heures et 11 minutes pour compléter son tour du monde, après s’être même arrêtée en France pour prendre le thé avec Jules Verne.

Inspirée par les travaux audacieux de Bly qui préfigurent ce que deviendra plus tard le journalisme d’investigation, d’autres femmes commencent à suivre ses traces.

En 1895, Bly rencontre l’industriel Robert Seaman et l’épouse quelques jours plus tard, délaissant sa vie de journaliste. Bien que l’homme ait 40 ans de plus que son épouse, ni l’un ni l’autre ne semble particulièrement gêné par cette importante différence d’âge. Leur mariage va durer près de dix ans, jusqu’à la mort de Seaman en 1904.

Elizabeth Cochrane hérite des propriétés de son défunt mari, y compris sa société Iron Clad Manufacturing Company.

Contre toute attente, Bly décide d’en reprendre la direction et incarne en tant qu’employeur toutes les valeurs qu’elle s’est évertuée à défendre dans ses articles. Ses ouvriers sont payés équitablement, ont accès à des soins médicaux et peuvent se rendre au gymnase ou à la bibliothèque durant leur temps libre : du jamais-vu à l’époque.

TRÈS BIEN PAYÉS, LES OUVRIERS DE BLY ONT ÉGALEMENT ACCÈS À DES SOINS MÉDICAUX, DU JAMAIS-VU À L’ÉPOQUE

Malheureusement pour Elizabeth Cochrane, traiter humainement ses employés a un coût, et ses entreprises font rapidement faillite. Cette dernière reprend son travail de journaliste durant la Première Guerre mondiale, et rédige des articles jusqu’à sa mort en 1922, à l’âge de 57 ans, des suites d’une pneumonie. Défenseur inébranlable du changement et véritable pionnière du journalisme d’investigation, Nellie Bly n’était certes pas la première femme de son temps à rejoindre une rédaction, mais elle fut sans aucun doute la plus intrépide.

Pour aller plus loin, découvrez également la vie de Florence Nightingale, pionnière trop méconnue des soins infirmiers.

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1 année

Bonjour, Etre sur pc et voir un site comme si on était sur un smartphone, non merci. Les mises à jour, la base quand on a un site. WordPress 5.9.2 passé à WordPress 6.1.1 -La mise à jour du WordPress permet de corriger des failles de sécurité qui ont été… Lire la suite »

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1 année

Bonjour,
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