Roman culte du mouvement gothique, Frankenstein ou le Prométhée moderne fut écrit par Mary Shelley en 1818. Sa portée sur le monde de la littérature et du fantastique est aujourd’hui incontestable. Pour preuve, l’oeuvre a dépassé son art et est devenue tout aussi populaire au cinéma, relançant l’engouement pour le livre dès les années 30 avec l’interprétation de Boris Karloff. Retour sur les codes et l’impact de cette oeuvre à part.

 

Des années avant le premier jet de l’histoire, Mary Shelley perd l’un de ses bébés. Ce deuil terrible la pousse dans des divagations où elle imagine réanimer les morts. Elle fait des cauchemars et des rêves où elle masse le corps du petit jusqu’à ce qu’il revienne à la vie. L’idée du monstre est donc avant tout le reflet du désespoir de l’auteur, et ce que certains prennent parfois pour un surplus d’émotions et de merveilleux dans l’écriture est en fait une véritable thérapie pour Shelley. À travers cinq narrateurs différents, l’histoire nous emporte d’abord aux côtés de Victor Frankenstein, un étudiant virtuose en philosophie naturelle et obsédé par des notions d’alchimie qui lui permettrait de créer la vie à partir de cadavres. Seulement, lorsque sa créature s’éveille enfin, Victor prend peur et s’enfuit, laissant le monstre confus quant à son identité.

 

 

Si vous n’avez jamais lu le livre, attention en effet à ne pas confondre les deux personnages. Car si Frankenstein est un nom malheureusement souvent utilisé pour décrire la créature, c’est en réalité le nom du premier protagoniste, son créateur, Victor Frankenstein. Le monstre est simplement le monstre. Dans le livre, c’est un géant hideux, bien qu’intelligent au coeur bienveillant, mais à la puissance surhumaine. Si ses intentions sont nobles et légitimes au début de l’aventure, les réactions de son environnement quant à son existence le poussent à devenir violent et à vouloir se venger de son créateur l’ayant condamné à une existence aussi atroce. Ironique que ces paradoxes soient maintenant accentués par la double signification du nom de Frankenstein, et que le nom du créateur soit aussi devenu dans l’esprit populaire, celui de la créature.

 

 

Alors, le sous-titre nous annonce qu’il s’agit ici d’un Prométhée moderne. Ce dernier, dans la mythologie grecque, est un titan ayant fabriqué le premier homme avec de l’argile (un concept que l’on retrouve dans plusieurs mythologies, que ce soit à Sumer, en Chine, chez les Amérindiens ou encore dans la Bible). Le lien entre le créateur et la créature, le parent et l’enfant est le noyau liant toute l’intrigue et tous les autres thèmes. Sauf que dans le mythe, Prométhée vole le feu des dieux pour que l’homme puisse survivre et se fait condamner pour l’éternité pour son affront. Mais la version moderne, elle, s’enfuit et ne s’occupe pas de sa créature. Pour ce qui est du nom, de Frankenstein en revanche, il vient de Benjamin Franklin et de ses expériences sur l’électricité, que Emmanuel Kant appelait alors le « Prométhée moderne ».

 

 

En parallèle à cela s’ajoutent ses inspirations littéraires, notamment celle de Lord Byron et du mouvement romantique en général et sa quête du savoir inaccessible que l’on retrouvera plus tard chez de nombreux auteurs au fil du temps, H. P. Lovecraft en tête. Philosophiquement, elle se plaît à superposer l’esthétique du sublime et l’horreur selon la pensée d’Edmund Burke. Que ce soit le magnifique ou la terreur, les deux viennent en effet d’un lieu d’étonnement et de grandeur, toujours opaque malgré la clarté et l’impact du moment vécu. Et ces ténèbres sont importantes lorsqu’il s’agit de Shelley puisqu’elle s’inscrit avant tout dans le gothique. On retrouve nos clairs de Lune, les orages, les structures dans la nuit, les hallucinations et tous les champs lexicaux de l’horreur et de l’effroi.

 

 

Avec une création de cette ampleur, il fallait se douter que le cinéma voudrait adapter le tout. Et en effet, le septième art n’a pas perdu de temps puisque le premier film Frankenstein voit le jour en 1910 dans les premières heures du cinéma. Mais c’est bien entendu la version de 1931 où le monstre est interprété par le grand Boris Karloff qui marque les esprits et transforme l’image du mythe à jamais. Avec son maquillage incroyable, le visage de Karloff est maintenant indissociable de l’image que l’on peut se faire de la créature. Après tout, c’est sur ce modèle que sont basés tous les hommages, les images, les clins d’oeil ou les costumes du personnage. Suite au succès de son interprétation, une ribambelle de films voient le jour dans les années 30 puis 50 jusqu’à devenir une figure emblématique de l’horreur en général.

 

À la croisée du gothique et du romantisme, Mary Shelley reprend les racines d’un des mythes les plus répandus de l’humanité pour soigner ses propres blessures à travers un roman devenu culte. L’oeuvre traite de nombreux thèmes chers au fantastique et à la science-fiction et le fait d’une manière alors inédite. Le nom de Frankenstein est de nos jours connu de tous et s’est émancipé de la littérature pour devenir une figure importante de la culture mondiale.

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