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Dotés d’une grande intelligence, les poulpes s’avèrent être des créatures fascinantes à bien des égards. De récentes recherches ont permis de faire la lumière sur leur « côté sombre », impliquant le dépérissement tragique des femelles après l’accouplement.

Une fin tragique

Les poulpes sont condamnés à être orphelins dès leur plus jeune âge. Après avoir pondu ses œufs, la femelle cesse de s’alimenter et commence à s’automutiler, arrachant sa peau et tordant frénétiquement l’extrémité de ses tentacules. Lorsqu’un jeune poulpe sort de son œuf, sa mère est déjà morte. Quelques mois plus tard, son père disparaîtra également.

La vie courte et sinistre de ces céphalopodes a longtemps fasciné les scientifiques. En 1944, des chercheurs ont émis l’hypothèse que l’accouplement déclenchait une sorte de mécanisme moléculaire « d’autodestruction » chez ces créatures marines. Il a fallu près de 80 ans, mais cette vague hypothèse a finalement pu être confirmée. Les chercheurs ont récemment découvert que l’accouplement modifiait plusieurs voies biochimiques critiques impliquant le cholestérol chez les poulpes femelles.

« Nous savions que le cholestérol était important d’un point de vue alimentaire, mais aussi au sein de différents systèmes de signalisation dans l’organisme », explique Z. Yan Wang, biologiste moléculaire à l’université de Washington et auteure principale de l’étude, parue dans la revue Current Biology. « Bien qu’il soit impliqué dans un large éventail de processus, de la flexibilité des membranes cellulaires à la production d’hormones de stress, constater qu’il jouait également un rôle clef dans le cycle de vie des poulpes a été une surprise. »

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Chez l’Homme, certains précurseurs du cholestérol se révèlent toxiques à des niveaux élevés. Les troubles génétiques augmentant le métabolisme de ce lipide peuvent entraîner de graves problèmes de développement et de comportement, notamment des automutilations répétées et des troubles de l’alimentation, potentiellement mortels. Si ces symptômes rappellent étrangement ceux des poulpes femelles en fin de vie, il a fallu des années pour confirmer que des mécanismes similaires en étaient à l’origine.

Des décennies de recherches

En 1977, des chercheurs avaient découvert que la glande optique jouait un rôle dans la mort programmée du poulpe. Comparable à l’hypophyse chez l’Homme, cet organe se situant entre les yeux du céphalopode est lié au développement sexuel et au vieillissement. Des expériences menées sur des poulpes femelles avaient à l’époque montré que son retrait permettait à ces créatures de vivre plusieurs mois après avoir pondu leurs œufs.

Il y a quatre ans, le séquençage de l’ARN des glandes optiques de deux pieuvres femelles à des stades différents de déclin avait permis d’approfondir ces recherches. À mesure que l’une d’elle s’approchait de la mort, les auteurs avaient noté une augmentation des niveaux d’activité dans plusieurs gènes contrôlant les hormones sexuelles, la glycémie et le métabolisme du cholestérol.

La nouvelle étude a impliqué l’analyse directe des molécules sécrétées par cet organe chez les femelles fécondées et non fécondées, suggérant que la glande optique produit réellement plus d’hormones sexuelles, de type insuline et de précurseurs du cholestérol. S’il est probable que la simple accumulation de ces molécules dans l’organisme du poulpe s’avère mortelle, comme c’est le cas chez l’Homme, ces dernières pourraient également alimenter les systèmes de signalisation déclenchant la mort programmée des céphalopodes.

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« Nous avons au moins trois voies apparemment indépendantes vers les hormones stéroïdes »

La glande optique avait été précédemment liée à la production d’hormones sexuelles chez les céphalopodes, mais les deux autres voies n’ont été identifiées que récemment dans leur « séquence d’autodestruction ». À l’avenir, Wang et ses collègues espèrent regarder plus loin en aval, afin de voir quelles autres molécules participent à ce « suicide programmé ».

« Le fait que les femelles traversent cette progression de changements où elles semblent devenir folles juste avant de mourir est frappant », estime Clifton Ragsdale, neurobiologiste à l’université de Chicago et co-auteur de l’étude. « Désormais, nous avons au moins trois voies apparemment indépendantes vers les hormones stéroïdes qui pourraient expliquer la multiplicité des effets observés chez ces créatures. »

« Grâce à ces travaux, nous avons maintenant la preuve que deux voies identifiées précédemment chez les rongeurs sont également présentes chez les poulpes », ajoute Wang.
« L’existence de telles similitudes entre des animaux si différents est vraiment surprenante. »

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