Le Daily Geek Show partage avec vous des livres qui ont plu à la rédaction. Parce qu’un bon livre est toujours apprécié, et qu’il peut même vous changer de l’intérieur. Aujourd’hui, zoom sur Marx et la poupée, le premier roman de Maryam Madjidi, paru aux éditions Le Nouvel Attila, et gagnant du prix Goncourt du Premier roman et du prix Ouest-France Etonnants Voyageurs en 2017.
Marx et la poupée : un titre intrigant car paradoxal, où se mêlent la dureté d’un courant de pensée politique et l’innocence des jeux de l’enfance. Lorsque les deux se rencontrent, le choc est douloureux. Dans ce roman autobiographique, l’écrivaine française d’origine iranienne relate sa vie d’exilée et la cicatrice que cela a représentée. L’histoire débute dans le ventre de sa mère puis avec ses premières années, où elle est témoin des luttes et violences politiques en Iran ; elle se poursuit avec son exil en France à ses six ans, son incompréhension de cette autre culture puis son adaptation ; elle continue avec la difficile recherche de son identité jusqu’à ce qu’enfin elle trouve la paix dans la réconciliation de ses deux cultures.
Une écriture du fragment comme moyen de récupérer ce qui a été arraché
Les mots permettent à Maryam Madjidi de ressusciter les souvenirs dans les moindres détails : les lieux, les odeurs, les goûts, les habitudes, les coutumes, les membres de sa famille, tout. Cette remémoration est effectuée dans un récit déstructuré, où les lieux et les temporalités s’entremêlent. Le lecteur alterne entre l’enfance, un souvenir d’adulte, puis un retour sur sa vie scolaire, tout en visitant l’Iran, la France, la Chine et la Turquie. Cette écriture fragmentée donne un sentiment d’authenticité du souvenir et de légèreté puisque, comme elle, rien n’est fixé, le lecteur vole d’un pays et d’une temporalité à une autre.
Le conte de l’exil
L’écrivaine se fait conteuse et entremêle les voix narratives, les points de vue, les pronoms personnels pour nous livrer une histoire, l’histoire de l’exil.
« Un père, une mère et une fille/ Le père avait la forme d’une ombre se faufilant sur les murs
La mère, le visage caché, portait une longue robe balayant la terre
La fille, silhouette légère, avait les pieds suspendus dans l’air
Et tous les trois gardaient un secret dans le creux de la main
Sur leur paume, un mot était gravé : EXIL ».
Maryam Madjidi, Marx et la poupée, Paris, Editions Le Nouvel Attila, 2007, p. 86
L’auteure mêle le conte à son histoire personnelle pour faire ressortir toute la complexité de la voix narratrice, regard d’enfant devenu adulte. Le titre en lui-même ressemble à un titre de conte. Marx et la poupée. Marx représente le communisme, la révolte et la répression politique en Iran, le monde et les luttes d’adultes, tandis que la poupée renvoie à l’innocence et l’enfance volées de l’auteure, en faisant référence à un épisode traumatique où elle est dépossédée de son enfance, qui est ce qu’elle a de plus précieux.
La blessure quotidienne du déracinement
Maryam Madjidi nous décrit le regard de l’autre sur la France. Ainsi, elle raconte la difficulté de s’intégrer dans un pays qu’elle ne comprend pas, où tout semble étrange et absurde, où elle est seule face aux autres, à l’image de la petite fille isolée dans son école, qui ne peut jouer car elle n’a pas les mots nécessaires pour cela. Petite fille muette qui refusait de parler le français, elle finit par embrasser cette langue et la vie qui l’accompagne. Mais le problème qui se pose alors est celui de la double identité, ou plutôt de la non-identité. Incapable de trouver sa place entre ses deux cultures, iranienne et française, ce roman nous fait part des clichés, des remarques parfois innocentes qui vous isolent et vous rappellent que vous n’êtes et ne serez jamais chez vous :
« Je trouve ça fascinant d’avoir une double culture. Quelle richesse ! J’aurais aimé avoir une double culture, ça m’aurait ouvert l’esprit. Je complexe parfois de n’être quE française. […]
– Tu sais ce que ça fait de n’être nulle part chez soi ? En France, on me dit que je suis iranienne. En Iran, on me dit que je suis française. Tu la veux ma double culture ? Je te la donne, va vivre avec et tu viendras me dire si c’est une « belle richesse » ou pas. »
Maryam Madjidi, Marx et la poupée, Paris, Editions Le Nouvel Attila, 2007, p. 155-156.
L’exil est créateur de solitude : il sépare de la terre natale et des proches, il isole en tant qu’étranger. Mais la question de la langue et de l’incompréhension qu’elle engendre s’avère également présente au sein de la famille puisqu’elle devient une barrière qui sépare les membres d’une famille, et c’est peut-être là le plus dramatique. Avec l’exil, ce sont ses racines et sa langue maternelle que la petite fille oublie :
« Elle avala sa langue. Elle ferma les yeux et elle engloutit sa langue maternelle qui glissa au fond de son ventre, bien à l’abri, au fond d’elle, comme dans le coin le plus reculé d’une grotte. »
Maryam Madjidi, Marx et la poupée, Paris, Editions Le Nouvel Attila, 2007, p. 139.
C’est alors une lutte pour reconquérir et ressusciter cette langue perdue qui débute. Une lutte ardue, dangereuse, dans laquelle elle manque de se noyer, mais dont elle sort victorieuse. Elle n’a pas à choisir entre l’Iran et la France, elle est les deux, de par sa naissance et son éducation.
Un roman sincère et poignant
Le roman possède une forte dimension poétique, avec des passages très poignants. Beaucoup de tendresse se dégage par moments, par exemple dans sa relation avec sa grand-mère, où un amour profond et protecteur s’en dégage. Le lecteur ne peut que se laisser happer et émouvoir par l’amour, la détresse et la vie qui se dégagent de ce roman. La dimension poétique atteint son apogée dans le dernier chapitre, qui ressemble à de la poésie en vers libres, symbole de la paix retrouvée, peut-être grâce à l’écriture.
« Je suis une guirlande de mots accrochés à un arbre qu’un enfant montre du doigt. »
Maryam Madjidi, Marx et la poupée, Paris, Editions Le Nouvel Attila, 2007, p. 202.
Marx et la poupée est un livre authentique qui vous bouleversera de l’intérieur. Un livre qui marque indubitablement.
Par Maurine Briantais, le
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