Considéré comme une chef-d’œuvre au Japon, le manga Gen d’Hiroshima est la plus célèbre œuvre japonaise à revenir sur le traumatisme vécu par le Japon à cause des frappes nucléaires américaines à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son auteur, Keiji Nakazawa, lui-même témoin de l’explosion atomique à Hiroshima, a fait de sa création une oeuvre engagée et nécessaire. (Attention : certaines illustrations de cet article sont particulièrement explicites et peuvent choquer la sensibilité de certains)

 

Gen d’Hiroshima (« Hadashi no Gen », littéralement « Gen le va-nu-pieds ») est un manga autobiographique écrit par Keiji Nakazawa et dans lequel, sous l’identité fictive de Gen Nakaoka, il raconte sa vie à Hiroshima de l’été 1945 au printemps 1953. Gen est né juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale, et sa famille est victime d’ostracisme et de brimades en raison des prises de position pacifistes et anti-impériales de son père. Le matin du 6 août 1945, sans signe avant-coureur, alors que la famille Nakaoka est toujours dans sa maison, Hiroshima est frappée par la bombe atomique.

 

Le manga suit le parcours du jeune Gen, d’avant l’explosion à la reconstruction de la ville : 

 

La maison de Gen s’effondre à cause du souffle de l’explosion, et si le héros et sa mère, enceinte, parviennent à s’en dégager, son père, sa soeur aînée et son frère cadet restent coincés dans les décombres alors que le feu commence à prendre et à embraser la ville, dont la majorité des constructions étaient faites de bois. Gen et sa mère n’ont d’autre choix que de fuir et de laisser le reste de la famille mourir, le choc provoquant l’accouchement prématuré de la mère de Gen, qui donne naissance à une petite fille.

 

Dans les jours qui suivent, Gen, sa mère et sa sœur qui vient de naitre arpentent une ville anéantie où agonisent les innombrables victimes des brûlures étendues à l’ensemble du corps ou des blessures liées à l’onde de choc. Dans leur errance ils prennent avec eux un petit garçon orphelin, Ryuta, et une jeune fille défigurée par des brûlures, Katsuko. Accueillis chez des connaissances peu hospitalières, les Nakaoka doivent payer un loyer, et pour ce faire, Gen doit trouver un travail. Engagé pour s’occuper d’un homme entièrement brûlé, Seiji, Gen se retrouve à nouveau sans emploi après avoir assisté à la lente mort de Seiji à cause de ses blessures.

 

Keiji Nakazawa, l’auteur, a lui-même été témoin de l’explosion atomique à Hiroshima : 

 

Dans les semaines et les mois qui suivent, les Américains arrivent à Hiroshima suite à la reddition du Japon, et les médecins américains multiplient les expériences sur les cadavres laissés par l’explosion alors que parmi les survivants, les irradiés meurent en nombre. La ville elle-même n’a plus d’infrastructure et pas d’aide, et suite aux radiations et à la malnutrition, c’est la soeur de Gen née le jour de l’explosion qui meurt dans les mois qui suivent. Petit à petit, Gen observe Ryuta basculer dans la délinquance, tandis que le marché noir et les yakuzas développent leur influence dans la ville qui, malgré tout, se reconstruit et que les hibakusha, ceux portant les stigmates de la bombe comme Katsuko, sont impitoyablement rejetés…

 

Si le style graphique de Gen d’Hiroshima peut paraitre simple et enfantin, son sujet n’est absolument pas traité avec légèreté ou pudibonderie, Nakazawa ne faisant aucun mystère de l’horreur que fut le bombardement et ses conséquences. Les estimations ont fait état de 80 000 à 200 000 victimes pour la seule ville d’Hiroshima, et le seul rayonnement thermique provoqué par l’explosion, avant l’incendie qui a suivi, a suffi à bruler à mort toute personne suffisamment proche qui n’était pas abritée, suivi des retombées radioactives qui ont elles aussi fait d’innombrables victimes.

 

L’auteur ne passe sous silence aucune des horreurs du bombardement : 

 

 

Ce que Nakazawa n’hésite pas non plus à montrer, c’est le militarisme aveugle dans lequel était lancée la société japonaise, mais également la manière dont les survivants d’Hiroshima ont été l’objet d’une immense honte au Japon, puisqu’ils étaient devenus les symboles de la défaite, de même que la difficile reconstruction de la ville gangrénée par la pauvreté et la délinquance. De fait, Gen d’Hiroshima est une œuvre nécessaire qui lors de sa publication, à partir de 1973, a participé à un devoir de mémoire nécessaire mais difficile dans un Japon qui voulait oublier l’humiliation de la défaite. De fait d’ailleurs, Gen d’Hiroshima a fait l’objet de nombreuses critiques révisionnistes.

 

Initialement publié dans le célèbre magazine de pré-publication de manga Monthly Shonen JumpGen d’Hiroshima est finalement retiré du périodique de peur que le sujet, encore presque tabou, ne fasse plus recette. Le premier volume relié de Gen d’Hiroshima rencontrant finalement le succès critique comme commercial, la pré-publication reprend, mais plus dans un magazine spécialisé dans les mangas mais dans des périodiques généralistes de gauche, donnant à Gen d’Hiroshima un véritable lectorat adulte. Rapidement, des adaptations en longs-métrages live (avec de vrais acteurs) et animés sont mises sur pied, et Keiji Nakazawa aide à la traduction de son oeuvre en anglais et dans diverses autres langues.

 

Gen d’Hiroshima a rapidement été publié dans de nombreux pays, dont la France : 

 

Reconnue internationalement comme une œuvre nécessaire pour ne pas oublier l’horreur de la guerre et souvent mise au même niveau que la bande dessinée Maus (c’est d’ailleurs l’auteur de cette dernière, Art Spiegelman, qui a préfacé l’édition américaine de Gen d’Hiroshima), Gen d’Hiroshima a permis à Keiji Nakazawa de s’exprimer à un niveau mondial contre l’utilisation du nucléaire que cela soit à des fins militaires ou civiles et pour la paix dans le monde. Keiji Nakazawa meurt en décembre 2012 à Hiroshima des suites d’un cancer du poumon, après avoir été très critique vis-à-vis de la catastrophe nucléaire de Fukushima.

 

Preuve s’il en est que le manga peut aborder des sujets très difficiles, Gen d’Hiroshima est, à n’en pas douter, un monument de la bande dessinée mondiale à ranger aux côtés d’autres chefs-d’œuvre participant au devoir de mémoire comme Maus. Une œuvre à lire pour ne jamais oublier l’atrocité de ce qui s’est passé à Hiroshima. Pensez-vous que le manga puisse participer au devoir de mémoire autour de la Seconde Guerre mondiale ?

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