L’association L’Enfant Bleu a publié ce jeudi 16 novembre un sondage, mené conjointement avec l’institut Harris Interactive, sur la maltraitance infantile chez les Français. Résultat : 22 % des personnes sondées ont reconnu avoir subi des maltraitances physique ou psychologique dans leur prime jeunesse, soit 1 français sur 4.
Des chiffres indicatifs
Réalisé en ligne par l’institut Harris Interactive sur un échantillon représentatif de la population française et conduit du 18 au 20 octobre 2017, le sondage de L’Enfant Bleu veut «[dresser] un nouvel état des lieux de la maltraitance des enfants en France ». Une initiative d’autant plus louable que le gouvernement ne dispose d’aucun chiffre officiel sur la question. Mais la beauté du geste ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : nous avons affaire à un sondage Harris Interactive conduit sur 1070 personnes, soit 1400 de moins que la limite optimale pour affiner sa précision statistique. Des chiffres à manipuler avec une grande précaution.
Pour autant, les données récoltées par l’institut de sondage sont édifiants : 22 % des sondés ont reconnu avoir vécu des événements pouvant s’apparenter à de la maltraitance infantile. Parmi ces 235 victimes autodéclarées, 171 ont révélé avoir subi des abus sexuels (73 %), 160 déclarent que ces maltraitances impliquent un membre de leur famille (68 %), et 188 confient avoir gardé le silence sur ces violences physiques et psychologiques (80 %). Cette loi du silence, qui est de mise dans la quasi-totalité des affaires de maltraitance, qu’elles s’inscrivent dans la cellule familiale ou confessionnelle – cf Pédophilie dans l’Eglise : le poids du silence de Cash Investigation – empêche toute ouverture d’enquête faute de dénonciation. La maltraitance infantile demeure un sujet « tabou » pour 79 % des sondés…
Où commence la maltraitance ?
En 1979, la Suède fut le premier pays du monde à interdire la fessée, incontournable punition infligée aux enfants – trop – désobéissants. L’exemple de nos amis scandinaves a inspiré une cinquantaine d’autres pays à prohiber les châtiments corporels, dont 27 rien qu’au Conseil de l’Europe ! La France campe sur ses positions : malgré un Ministère des Familles qui milite contre les sévices corporels et psychologiques en tous genres, fessées, gifles, et humiliations sont toujours à la disposition des parents pour « dresser » ou « recadrer » leur progéniture. Le problème, c’est que toutes ces punitions soi-disant « éducatives » relèvent de la maltraitance pure et simple selon l’Organisation mondiale de la santé, qui définit la maltraitance infantile comme « toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ».
L’Organisation des Nations Unies avait déjà épinglé la France en février 2016 pour son indéfectible soutien aux sévices corporels ; le Conseil constitutionnel lui-même s’est sali les mains en rejetant la loi anti-fessée de 2017 à cause d’un problème de forme ! C’est là tout le dilemme : on ne peut pas d’un côté s’engager dans la lutte contre la maltraitance infantile et de l’autre, continuer de promouvoir les châtiments corporels vantés comme bénéfiques au développement des enfants. Si lorsqu’on vous parle d’enfants maltraités vous imaginez un ersatz d’Oliver Twist, habillé en guenilles, roué de coups par son pochtron de père et rabroué par sa droguée de mère… Navré de vous le dire : vous êtes encore au XIXe siècle. La maltraitance n’est pas déterminée par la fréquence des châtiments mais leur nature : des invectives quotidiennes, des baffes assenées sans raison, des insultes occasionnelles, des tirages de cheveux justifiés… C’est dans ces gestes anodins – voire quotidiens – que se traduit la maltraitance infantile. Donc il est fort probable que les 22 % relevés par Harris Interactive soient bien en-dessous de la réalité.
Des séquelles pour toute une vie
Les 11 et 12 octobre 2013 se tenait à Paris le colloque de la Fédération française de psychothérapie et psychanalyse consacré aux psychotraumatismes. Ces stigmates résultant d’épisodes particulièrement éprouvants sur les plans physique et psychologique se matérialisent de plusieurs manières : la rumination ou l’amnésie traumatique. Neurologue au CHU de Caen, le Dr. Laurence Carluer avait découvert que le traumatisme laissait bel et bien une « trace » dans notre psychisme, peu importe son intensité. Une empreinte encore plus visible lorsque le traumatisme survient durant l’enfance : « des études IRM montrent que des personnes ayant subi des abus sexuels dans l’enfance ont réellement des zones cérébrales dont le volume est diminué. » Les victimes de ces traumatismes ont plusieurs manières de les exprimer : certains se réfugient dans la « rumination » et revivent constamment le moment où tout a basculé, tandis que d’autres ne se rappellent de rien…
« La mémoire traumatique se caractérise par le fait qu’elle n’est pas intégrée dans l’histoire de l’individu, résume le Dr Laurence Carluer. Soit elle est enfouie et peut éventuellement se manifester au travers de troubles psychosomatiques, soit elle reste extrêmement bruyante comme dans le syndrome de stress post-traumatique. »
Dr. Laurence Carluer
L’amnésie traumatique fait partie des multiples séquelles que les victimes d’épisodes traumatiques peuvent éprouver. Le cas de Cécile B. avait particulièrement défrayé la chronique. En 2009, la jeune femme avait suivi sa première séance d’hypnothérapie au cours de laquelle avait resurgi le souvenir d’un viol commis alors qu’elle n’avait que 5 ans. Malgré le délai de prescription, Cécile B. avait déposé un pourvoi en cassation pour le repousser afin de porter plainte contre son violeur ; pourvoi qui a depuis été rejeté par la Cour de cassation en 2013. Une juste décision pour Jean-Marc Benheim, médecin hypnothérapeute à Ambroise Paré : « L’hypnose peut créer de faux souvenirs parce qu’elle a pour objectif le soulagement de la souffrance. Mais ces souvenirs n’ont aucune valeur pour la Police ou la Justice : ils sont fabriqués de toute pièce. »
Nul ne conteste l’existence de cet oubli « salvateur » orchestré par la psyché : c’est sur l’utilisation de l’hypnose comme révélateur que les esprits s’échauffent. La psychiatre Muriel Salmone défend l’authenticité des souvenirs de Cécile B. : « C’est chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance que l’on retrouve le plus d’amnésies traumatiques. Ce phénomène peut perdurer de nombreuses années, voire des décennies. 59,3% des victimes de violences sexuelles dans l’enfance ont des périodes d’amnésie totale ou parcellaire. » Un phénomène déjà été constaté chez les soldats revenus traumatisés des champs de bataille – cf Siegfried et le Limousin. Et Muriel Salmone de conclure en citant une étude américaine où plus d’un tiers de jeunes femmes interrogées dans leur prime jeunesse pour des violences sexuelles avaient tout oublié en l’espace de 20 ans… Oublier n’est pas pardonner.
Le sondage commandé par L’Enfant Bleu n’est pas d’une irréprochable fiabilité, mais il a au moins le mérite d’alerter l’opinion sur un problème boudé par le gouvernement : il n’existe aucun chiffre officiel sur la maltraitance infantile. Espérons que les résultats fracassants du sondage Harris Interactive inciteront enfin les pouvoirs publics à agir en conséquence en légiférant sur ces châtiments corporels qui n’ont plus leur place dans une société en lutte contre la maltraitance infantile.
Par Matthieu Garcia, le
Source: L'Enfant Bleu
Étiquettes: enfants, violence, crime, abus, abus-sexuels, innocence, maltraitance-infantile, tabou
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