Nous considérons souvent les troubles psychologiques tels que la dépression ou l’anxiété comme des problèmes spécifiquement humains. Pourtant, de nombreuses autres espèces semblent pouvoir en être affectées : des animaux domestiques jusqu’à ceux bénéficiant d’un mauvais traitement dans les zoos ou dans les cirques, la tristesse ou même l’anxiété deviennent des phénomènes, non plus simplement humains, mais observables chez les animaux. 

Une récente étude, menée par la primatologue Jane Goodall dans son ouvrage Through a Window : My Thirty Years with the Chimpanzees of Gombe (2010) a analysé le comportement du chimpanzé Flink se trouvant au parc national de Gombe en Tanzanie. Jane Goodall a déduit de ses observations que Flink souffrait d’une sévère dépression, entraînée par la mort de sa mère Flo. La primatologue a en effet remarqué les signes d’un grave trouble mental : perte d’appétit et de force physique, errance, inertie… Flink, après de longues semaines de souffrance, a fini par s’allonger aux côtés de sa mère pour s’éteindre.

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L’exemple de Flink a conduit la communauté scientifique à remettre en question le caractère proprement humain des troubles psychologiques et à s’interroger, sous un nouvel angle, sur les causes de tels problèmes. Si la dépression animale peut déboucher, comme dans l’exemple de Flink, sur le cas extrême de la mort de l’animal, celle-ci peut aussi s’exprimer sous différentes formes. Oiseaux qui arrachent leurs plumes, chiens qui lèchent leur queue jusqu’à perdre leur pelage, bonobos qui arrachent leurs poils, ces troubles obsessionnels peuvent s’observer chez les animaux domestiques, selon les mêmes critères que les TOC chez les humains. Ces dysfonctionnements peuvent s’observer chez les animaux subissant de mauvais traitements, souffrant d’anxiété, de tristesse suite à la mort d’un compagnon, d’un traumatisme quelconque ou de leur captivité.

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LA SENSATION D’ISOLEMENT PEUT ENTRAÎNER UNE DÉGRADATION GÉNÉTIQUE CHEZ LES ANIMAUX

En 2011, des scientifiques ont observé des symptômes post-traumatiques chez les chimpanzés utilisés comme cobayes dans des laboratoires de recherche. La sensation d’isolement peut même entraîner chez les animaux une dégradation génétique, comme l’ont montré des chercheurs étudiant des perroquets gris en 2014. Les perroquets qui avaient été logés par deux souffraient moins de ces ravages génétiques interprétés comme des signes d’angoisse par les scientifiques que les perroquets logés seuls.

De même, on a pu remarquer que les chiens militaires pouvaient souffrir des mêmes troubles post-traumatiques que les soldats après la guerre. Il est notable que nous remarquons souvent ces dérèglements psychologiques chez les animaux que nous affectionnons traditionnellement le plus : les chimpanzés, les éléphants ou encore les animaux de compagnie. Pour Marc Bekoff cela vient uniquement du fait que nous faisons davantage attention à ces animaux, alors même que toutes les espèces, animaux sauvages inclus, peuvent en fait en être affectées.

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C’est ce que ce dernier a remarqué en analysant le comportement d’un coyote, « Harry« , dans un parc national du Wyoming, qu’il considère comme mal adapté. Dans son livre The Emotional Lives of Animals (2008), celui-ci postule la thèse de l’autisme d’Harry. Il note : « Il était socialement mal adapté, et il semblait ne pas comprendre ce que les autres coyotes voulaient lui communiquer ou bien ce qu’ils faisaient. On avait l’impression qu’il ne savait pas comment jouer. »

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Ces troubles psychologiques chez les animaux sont-ils dépendants du regard humain qui les observe ? Ou bien existe-t-il véritablement des effets de mal-être chez les animaux ? Car certains animaux ayant subi des expériences anxiogènes ne semblent en revanche aucunement affectés. Cela a conduit Erik Vallender de l’université du Mississippi à s’interroger : « On ne sait en fait pas si l’animal n’est pas différent du simple point de vue de l’observateur humain ou bien s’il l’est, mais du point de vue d’un autre animal. »

L’étude de la psychologie des animaux pose en fait des problèmes méthodologiques qui l’empêchent d’être étudiée à la manière de la psychologie humaine. Car si un psychologue peut poser des questions à son patient, on ne peut qu’observer le comportement des animaux et en tirer un certain nombre de conclusions.

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Pour pallier ce problème, les scientifiques ont opté pour l’étude génétique de ces animaux. Car les troubles mentaux impliquent non seulement des modifications comportementales, mais aussi génétiques. L’idée est donc de cibler ces dernières afin d’en tirer des conséquences psychologiques, comme le note Jess Nithianantharajah, membre de l’Institut des neurosciences et de la santé mentale à Melbourne, en Australie.

POUR ÉTUDIER LES PROBLÈMES PSYCHOLOGIQUES CHEZ LES ANIMAUX, IL FAUT SE PENCHER SUR LA GÉNÉTIQUE

Les synapses, assurant la jonction entre les cellules cérébrales, peuvent entraîner – quand elles sont sujettes à des dysfonctionnements – des troubles d’ordre génétique, et, partant, d’ordres mentaux. En 2012, Nithianantharajah et son équipe ont étudié l’histoire d’une famille de synapses particulières nommée Dlg.

Ces gènes réguleraient des fonctions cognitives rattachées au comportement. Selon Nithianantharajah, le gène Dlg n’aurait d’abord existé que sous une seule forme chez les invertébrés, pour finalement se dupliquer au cours d’un processus évolutif complexe, afin de donner naissance à quatre gènes Dlg différents. Pour Nithianantharajah, cet « accident génétique » aurait eu lieu il y a 550 millions d’années, peut-être d’abord chez un ver marin, pour se transmettre ensuite aux vertébrés. L’existence, donc, de quatre formes distinctes de gènes Dlg entraînerait pour Nithianantharajah une complexification des comportements cognitifs chez les espèces concernées – complexification qui pourrait expliquer l’existence des troubles psychologiques.

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Or, ces gènes se retrouvant chez les espèces les plus primaires, cela impliquerait que l’intelligence et les troubles psychologiques sont également présents chez l’animal. A partir de ces recherches, Nithianantharajah a postulé que certains invertébrés, comme les abeilles ou les poulpes, pourraient souffrir également de maladie mentale, même si aucune publication n’a encore été faite à ce sujet.

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C’est que, longtemps considérés comme des êtres inférieures et rudimentaires, les invertébrés n’ont que rarement fait l’objet d’études cognitives, et l’on a du mal à prendre au sérieux la thèse de l’existence de troubles mentaux chez les animaux en général. Vallender et Lisa Ogawa ont porté leurs études, en 2014, sur la schizophrénie et l’autisme, en l’étudiant chez plus de 45 espèces différentes de mammifères. Ils ont observé que les mutations de ces gènes intervenaient chez l’humain comme chez le singe ou le dauphin… De là à dire que le dauphin puisse connaître des troubles d’ordre schizophrénique, il y a encore du chemin à parcourir.

Mais la recrudescence de telles études génétiques pourrait conduire, à terme, à reconsidérer la condition animale par rapport à la condition humaine. En outre, si l’équivalence de fonctionnement entre les troubles psychogénétiques de l’homme et de l’animal se trouve posée, la recherche effectuerait probablement de grandes avancées et faciliterait sans doute le traitement médical de ces troubles.

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Ces études tendent donc à faire de la dépression une maladie comme les autres, équivalant à des dysfonctionnements physiologiques comme le cancer… Par la même se retrouve tracé un rapport inclusif entre l’intelligence et les troubles mentaux. La dépression peut-elle être considérée comme découlant de la structure même de notre système cognitif ? Les études sur la psychologie animale nous interrogeront sans doute encore à l’avenir…

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