Pratique décriée pour son aspect barbare, la lobotomie a pourtant été pendant 50 ans une opération réalisée par les chirurgiens. Cependant, une enquête menée par trois neurochirurgiens révèlent un fait caché pendant de nombreuses années : plus de 80 % des patients ayant subi une lobotomie étaient des femmes. Un détail accablant, témoignage d’une forme de sexisme médical.
COMMENT LES SPÉCIALISTES ONT-ILS PU FAIRE CE CONSTAT ?
Aymeric Amelot, Marc Levêque et Louis-Marie Terrier sont trois neurochirurgiens français qui ont choisi de faire une étude sur la pratique de la lobotomie en France, en Suisse et en Belgique de 1935 et 1985. Afin d’obtenir le plus d’informations sur le sujet, ils ont réuni pas moins de 80 articles et 3 thèses. L’objectif initial de l’étude était de « comprendre comment une méthode aussi décriée et ‘barbare’ avait pu s’étendre au monde entier et avait même été récompensée d’un prix Nobel », en 1949.
Cependant, en feuilletant ces nombreux documents, ils vont découvrir que cette pratique barbare récompensée avait surtout été réalisée sur des femmes. La toute première lobotomie, réalisée en 1936, a d’ailleurs été faite sur une femme : une prostituée de 63 ans atteinte de mélancolie et de paranoïa. A partir de cette date, les opérations vont se succéder avec souvent un facteur commun : soigner des femmes atteintes de troubles mentaux.
UNE OPÉRATION SEXISTE ?
Il est choquant de voir que 84 % des patients ayant subi une lobotomie soient des femmes. Cependant, deux éléments sont à l’origine de ce chiffre. Tout d’abord, la période d’après-guerre a joué un rôle majeur dans la généralisation des lobotomies. Louis-Marie Terrier rappelle que « Nous sortions de la guerre, il régnait un chaos psychologique énorme et les psychiatres étaient complètement démunis. ». Pour soulager schizophrénie, TOC ou dépression, la lobotomie était prescrite.
Mais ces maux n’étaient pas plus importants chez la femme. Un autre détail a alors joué en faveur de cette opération : le code civil. Dans ce texte de loi de 1804, encore en vigueur à l’époque, la femme est réduite à un objet d’expérimentation et était même considérée comme mineure jusqu’en 1979. Le père ou le mari faisait alors figure d’autorité et c’était lui qui décidait si une femme devait être opérée ou non. De plus, les stéréotypes ont renforcé ce pouvoir car il était mal vu qu’une femme ne se conduise pas comme elle devrait.
LES FEMMES TROP SOUVENT JUGÉES ET TRAITÉES
La lobotomie féminine a concerné toutes les tranches d’âge et tous les milieux sociaux. Des femmes ayant entre 2 et 85 ans ont ainsi eu recours à la lobotomie et deux célébrités ont également subi cette opération douloureuse : Eva Peron, épouse du dictateur argentin Juan Peron ainsi que Rosemary Kennedy, sœur du président.
Si la pratique se fait de plus en plus rare dès les années 50 avec l’arrivée des médicaments psychotropes, les femmes sont plus souvent contraintes de prendre ces traitements que les hommes. Une vérité qui s’est encore vérifiée en 2012 où l’Inserm rapportait que « quel que soit l’âge, les consommateurs de médicaments psychotropes sont majoritairement des femmes ». Un jugement sexiste qui montre que malgré l’évolution de la société, les femmes sont encore victimes des stéréotypes.
Par Justine Manchuelle, le
Source: Konbini
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