La « Ligue du Lol », le « Me too » du Web, bouleverse la sphère journalistique. Au-delà des problématiques liées au harcèlement et au sexisme que nous connaissons bien, les révélations liées à cette affaire questionnent également la notion de masculinité toxique, de l’impunité des comportements déplacés, mais soulignent aussi la vulnérabilité des personnes et des communautés systématiquement agressées par ceux que l’on appelle « les boys’ club », qui présentent de nombreuses similitudes.
« La Ligue du Lol », ou le plus grand réseau de cyber-harcèlement journalistique français
Révélée le 8 février par le journal Libération, l’affaire a eu des répercussions importantes dans les médias français. À juste titre. Crée en 2009 par un journaliste travaillant chez Libération, Vincent Glad, le groupe comporte à l’origine une quinzaine d’hommes et deux ou trois femmes.
La Ligue du Lol voit sa popularité s’accroître, et s’exporte sur des réseaux sociaux alors nouveaux, comme Twitter. Entre 20 et 40 personnes adhèrent alors au groupe, principalement des journalistes, publicitaires, et des responsables de communication. « La ligue » comporte dès lors une majorité écrasante d’hommes, qui vont, pendant des années, harceler, humilier sur les réseaux sociaux en toute impunité. Leurs cibles préférées sont alors des femmes, des homosexuels ou présumés homosexuels, mais pas seulement : leurs actions et discours sont parfois teintés de racisme, d’antisémitisme et de grossophobie.
Leur action se cristallise alors et se mue en harcèlement moral : pendant des années, ils vont procéder à des canulars téléphoniques, des photos montages pornographiques des victimes diffusés sur des groupes de mineurs, à l’envoi de messages arbitraires et insultants sous couvert « d’un ton humoristique ».
Un effet de groupe dominé par « l’hétéro-normalité »
Qui sont donc ces fameux harceleurs ? Des gens influents, avant tout pour que leurs actions aient des répercussions suffisantes sur la vie de leurs victimes, mais qui répondent également à des critères bien précis : tous sont des hommes, blancs, hétérosexuels et issus de classes sociales privilégiées.
Une conclusion qui ramène finalement à la définition de ce qu’on appelle communément un « boys club ». Un phénomène lié à l’impunité que l’on accorde aux garçons dès leur plus jeune âge, qui se manifeste alors sous le terme « harcèlement de bac à sable » et désignant ce groupe de garçon qui moque d’une fille dans la cour de récré, ou qui empêche le jeune garçon qu’ils considèrent « efféminé » de jouer au foot.
Dans le fond, il s’agit d’un groupe non discipliné d’individus qui agit en fonction de ses normes et valeurs et qui discrimine et humilie quiconque ne correspond pas à ses critères. Un comportement exempt de toute morale, et qui peut avoir des conséquences indélébiles sur les victimes.
Alors qu’historiquement, les « boys club » désignent au XXème siècle en Angleterre, selon les explications de Martine Delvaux, professeure au département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, des espaces conçus pour échapper à l’espace domestique, et fréquentés par des hommes blancs, riches, hétérosexuels et issus d’écoles privées.
On peut aujourd’hui en trouver l’équivalent dans les fraternités américaines, au sein desquelles l’impunité règne, autant au sein des étudiants entre eux, que dans les sphères éducatives, avec enseignants et coachs sportifs qui cautionnent régulièrement des comportements masculins pourtant inadmissibles.
A cause de l’impunité successive accordée par les parents, puis par les enseignants, cet état d’esprit d’entraide et de connivence masculine se développe et gangrène toutes les sphères de la société. Comme l’explique Bérengère Kolly, maîtresse de conférences à l’Université Paris-Est Créteil « La ligue du LOL ressemble beaucoup au fonctionnement en fraternité. On y retrouve l’enjeu du pouvoir, et le fait d’empêcher des femmes rivales, des consoeurs, d’y accéder. C’est donc aussi clairement une question politique, une domination « fratriarcale » ».
Un harcèlement ciblé
Cette affaire est le reflet d’une société toute entière, qui tolère et punit rarement. Les cibles de La Ligue du LOL (féministes, homosexuels, hommes et femmes racisées, hommes ne correspondant pas aux critères de la masculinité dominante), sont des minorités et ces mêmes minorités, sont, historiquement, les plus visées quand il s’agit de harcèlement.
Selon Bérengère Kolly, « les boys club sont anti-féministes parce qu’il existe toujours une misogynie rampante dans notre société ». Une idéologie qui se reflète bien dans le mode opératoire des harceleurs, qui privilégiaient alors des montages pornographiques mettant en scène des femmes. « On ramène toujours les femmes à leur corps, on les objectifie. L’utilisation de la pornographie comme arme montre qu’une fois de plus les femmes ne sont perçues qu’à travers leur sexe, ce qui préserve la fraternité masculine de tout mélange », soulignent Martine Delvaux et Bérengère Kolly.
Même cas de figure pour ce qui est de l’homosexualité : « Ils développent une hétérosexualité caricaturale. Dans notre société, être homosexuel et se faire pénétrer relève toujours de la faiblesse et de l’interdiction. C’est comme si ils n’était pas si sûrs d’être hétérosexuels, mais vu qu’ils n’ont pas le droit d’explorer l’homosexualité, ils rejettent toutes les personnes qui se l’autorisent. »
Des situations hélas de plus en plus fréquentes, qui témoignent d’un profond malaise social: on peut par exemple citer l’exemple du chanteur queer Bilal Hassani, qui, depuis l’annonce de sa participation à l’Eurovision, subit une véritable salve d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux. Des actions qui sont donc à dénoncer et à prévenir, notamment par le biais de l’éducation, pour mettre fin à des stéréotypes profondément ancrés dans notre société, mais qui sont à l’origine d’une extrême violence ordinaire dont les conséquences peuvent être tragiques. Le cyber harcèlement peut mener à une dépression, voire, dans le pire des cas, au suicide.
Enfin, l’affaire de la ligue du LOL, par d’éminents journalistes, la plupart de gauche, a mis en lumière le fait que le sexisme et le harcèlement, contrairement aux idées communément relayées par les médias, n’est pas uniquement l’apanage des classes populaires. Depuis, une dizaine de journalistes ont été mis à pied par des rédactions importantes (Libération, Le Huff Post, les Inrocks…). Une preuve que même si ces faits de violence restent banalisés, ils ne resteront pas impunis dans la sphère publique. Une bonne résolution à appliquer dorénavant dans la sphère privée, pour lutter contre les stéréotypes et mettre, une bonne fois pour toute, de côté les violences ordinaires, qu’elles soient homophobes, anti-féministes, antisémites, grossophobes, islamophobes ou anti-christianistes…
Au Daily Geek Show, nous tenons tout particulièrement à saluer le courage des victimes qui se sont exprimées au cours de cette affaire, et avons l’audace d’espérer que cette prise de parole ne restera pas impunie, pour que de pareilles actions se raréfient considérablement, voire disparaissent durant les années à venir.
Par Alice Mercier, le
Source: Slate
Étiquettes: société, féminisme, scandale, grossophobie, homophobie, ligue-du-lol, machisme
Catégories: Actualités, Société