En 2004, le Festival de Sundance présente Saw en avant-première, un modeste film au budget d’1,2 million de dollars tourné en une vingtaine de jours. L’engouement est immédiat : une moitié des critiques salue l’audace du film, l’autre condamne l’extrême violence des châtiments. Résultat : 103 millions de dollars au box-office mondial. Treize ans après ce coup d’éclat, le « Tueur au puzzle » revient sur les écrans pour le plus grand bonheur des fans.
Un plaisir intact
Cinq personnes se réveillent dans une salle éclairée aux néons la tête prisonnière d’un seau métallique, et le cou alourdi de chaînes reliées à une ribambelle de scies circulaires encastrées dans le mur face à eux. Une voix lugubre et caverneuse jaillit de nulle part. C’est la voix du maître qui enjoint les pécheurs à se repentir, à confesser leur crime, et verser le sang pour leur salut. La cassette se termine, les scies démarrent, les cris et les hurlements résonnent : Game on !
Saw fait partie de ces plaisirs coupables où l’histoire est secondaire voire carrément optionnelle. À l’image de nombreux blockbusters sortis cet été – Wonder Woman, Pirates des Caraïbes, Transformers – la franchise ne rameute pas les foules par ses intrigues policières à faire sourire un Derrick à l’heure du thé, ni par ses jeux d’acteurs complètement stéréotypés, mais par ses mises à mort jubilatoires. Alors que le Saw originel était un thriller saupoudré d’horreur, les suites ont complètement balayé les intrigues policières pour les relayer en arrière-plan : place à l’horreur, au gore, et à l’insoutenable. En ce sens Jigsaw fait le job : injection d’acide sulfurique, noyade sous des tonnes de grains dans un silo dont le facétieux plafond largue couteaux et fourches sur les malheureux joueurs… Si vous êtes fan de la franchise, vous y trouverez votre compte.
La nostalgie facile
La saga Saw est un monument du film d’horreur : 8 films, 432 millions de dollars de recettes, et 7 Halloween estampillés « Tueur au puzzle. » Les Saw sont indissociables de la Fête des maléfices : ils ont effrayé, épouvanté et traumatisé toute une génération de spectateurs en quête de sensations fortes – des palpitations d’effroi et des grimaces de dégoût que la franchise était la seule à proposer jusqu’à ce que Hostel et d’autres films d’horreur n’exploite le filon de la Torture-Porn.
Ce 8e opus des pérégrinations meurtrières de Jigsaw, ou plutôt de ses adeptes depuis sa mort dans Saw III, n’est pas à proprement parler une suite. Elle s’inscrit davantage dans une logique reboot-like – on redémarre la saga de zéro – avec une énième origin story à la clé – on donne des indications et des indices sur les motivations réelles du tueur. Rien de bien neuf sous le soleil. A quelques détails près… Les producteurs ont délaissé les lumières froides oscillant entre le vert et le blanc-gris pour des couleurs plus chaudes, proches du jaune-orange : exit les salles souterraines sombres et humides, cette fois-ci, on est transporté dans une gigantesque grange tout en bois, tout en foin, et tout en châtiments !
Moins Torture Porn que les autres
La saga Saw a toujours suscité les plus vives indignations publiques et critiques sur sa violence décomplexée. Dans le premier opus, elle n’était qu’une toile de fond à peine tendue, l’intrigue policière et le dilemme imposé à Adam et Lawrence – cloitrés dans la salle de bain – occupent facilement 85 % du film. Initiée par un thriller horrifique, la saga a très vite pris le tournant du gore à tout venant : du sang du sang toujours du sang quitte à donner la nausée. Toujours plus spectaculaires et toujours plus dégoutants, les Saw ont versé dans la Torture-Porn la plus élémentaire, histoire de masquer les scénarios inexistants et les traitements de personnages croquignolesques. Et Jigsaw tend à se débarrasser de cette étiquette de Torture-Porn – qui colle à la peau de la franchise depuis le 3e opus – en faisant de l’hémoglobine un élément accessoire et non crucial et en disséminant même quelques notes d’humour par-ci, par-là !
Le Torture-Porn est un sous-genre du cinéma d’horreur où des personnages, jeunes et beaux de préférence, se retrouvent à la merci d’un ou plusieurs dégénérés sadiques bien décidés à leur en faire baver. Ce recours décomplexé à la violence pour masquer un scénario-prétexte ne date pas d’hier : Cannibal Holocaust (1980) fait figure de pionnier en la matière. Le genre s’estompe très vite dans les 80’s avec la popularisation des Slashers mais il refait occasionnellement surface avec certaines oeuvres acclamées par la critique comme Funny Games. Mais il est indéniable que Saw a redonné ses « lettres de noblesse » à un genre tombé en désuétude : Hostel, Wolf Creek, Human centipede… Jigsaw n’est pas aussi angoissant que le premier film, ni aussi jouissif que le second, ni aussi tordu que le troisième… Mais il saura contenter les inconditionnels de la franchise et les nostalgiques des bons vieux Halloween passés en compagnie de Tobin Bell et sa poupée montée sur tricycle.
Par Matthieu Garcia, le
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