Batgirl est loin d’être la seule femme à avoir connu la gloire dans l’univers de DC mais il s’agit certainement de celle ayant fait couler le plus d’encre. Icône culturelle, elle a beaucoup fait parler d’elle durant son demi-siècle d’existence attirant, bien souvent, les foudres du public sur la maison DC Comics.

L’histoire débute dans les années 60 quand Bill Finger, le co-créateur de Batman, décide d’ajouter un nouveau personnage féminin dans la vie du justicier masqué. Pour ce faire, il s’associe au dessinateur Sheldon Moldoff et de leur travail naît Betty Kane, l’alter ego de Bat-Girl et nièce de Batwoman, dévoilée au grand public en 1961. Malgré une équipe artistique de talent, cette dernière rencontre un accueil mitigé de la part du public et plusieurs voix se font entendre pour la critiquer.

À l’époque, la maison d’édition est accusée de promouvoir l’homosexualité auprès des jeunes lecteurs au travers d’histoires mettant en avant les aventures de deux hommes sans attaches féminines. La relation de Batman et Robin est perçue comme une menace envers l’hétérosexualité des enfants et jeunes adultes lecteurs de comics. La sortie d’un nouveau personnage féminin devient, pour les détracteurs de Batman, la preuve que DC Comics cherche à dissimuler l’orientation sexuelle supposée des héros, alors considérée comme déviante. Face aux critiques, la maison d’édition retire définitivement Bat-Girl et sa tante de ses comics en 64. C’est la fin de Betty Kane mais ce que DC ne sait pas encore, c’est que Bat-Girl a encore de longs jours devant elle.

Il faudra attendre 1967 et la série télévisée à succès Batman pour revoir le personnage. L’idée de son retour est proposée par l’équipe de la série TV. Les producteurs, qui souhaitent attacher un personnage féminin charismatique à l’équipe de Batman, demandent à DC Comics l’autorisation d’utiliser Bat-Girl et de retravailler le personnage pour le petit écran. Une fois l’accord donné, l’équipe de la série recrée son histoire, modifiant son nom, lui offrant une nouvelle vie, une nouvelle famille et en apportant ainsi un nouveau personnage féminin auquel les téléspectatrices peuvent s’identifier.
Bat-Girl devient Batgirl, un membre à part entière de l’équipe de Batman et comme lui, elle combat le crime en dissimulant sa nouvelle identité derrière un masque.
Son vrai nom, vous le connaissez, il s’agit de Barbara Gordon.

Contrairement à sa première version, Barbara attire l’attention des spectateurs et connaît très vite un grand succès. Cette réussite tient en grande partie à l’histoire créée par les scénaristes de la série autour du personnage. En effet, même si la série joue sur l’humour et le second degré, Batgirl est un personnage minutieusement travaillé. Fille du commissaire Gordon, Barbara grandit dans un environnement qui justifie sa lutte pour la justice, ce qu’elle fait aussi bien dans son costume que dans sa vie privée.

En vieillissant, l’héroïne s’émancipe de Batman : justicière de jour comme de nuit, elle devient membre du congrès. Sa vie privée est aussi bien travaillée que sa vie d’héroïne par les auteurs de DC Comics et très vite, Barbara quitte Gotham pour Washington. Si le personnage n’a toujours pas sa propre série de comics, elle continue d’évoluer, de grandir au travers d’apparitions sur d’autres planches.
Malheureusement, la qualité d’un personnage ne suffit pas toujours à sa survie et à la fin des années 80, Batgirl se fait de plus en plus discrète avant de passer à la trappe. C’est dans le comics Batgirl Spécial au sein duquel est publié « The Last Batgirl Story », qu’elle fait ce qui semble être ses adieux aux lecteurs. Le personnage y confie sa volonté de continuer à lutter pour la justice, sans pour autant se mettre en danger.
Vous l’aurez compris ce n’est qu’un au revoir.

En 1988, Batgirl est – de nouveau – de retour. À la demande du scénariste et auteur Alan Moore, DC accepte de faire revenir une fois de plus l’héroïne sans se douter qu’il s’agira d’une de ses réapparitions les plus controversées.
En effet, Alan Moore souhaite faire passer l’idée qu’il ne suffit pas d’être du bon côté de la loi, de la morale, pour s’en sortir et se sert du Joker pour exécuter l’héroïne avec une rare violence dans The Killing Joke. C’est en souhaitant démontrer que n’importe quel homme, même le plus droit, peut devenir fou suite à une mauvaise journée que le Joker, après s’être échappé d’Arkham, se rend chez le commissaire Gordon et frappe à sa porte. Barbara lui ouvre et reçoit une balle dans l’abdomen. Paralysée, elle est humiliée, torturée (il est sous entendu qu’elle est victime de viol) et prise en photo. Photographies que son père, lui aussi capturé, sera forcé de regarder avant son sauvetage par Batman.

Barbara Gordon qui, malgré son absence était restée dans l’imaginaire collectif un personnage féminin important de l’univers de DC comics, est mise à terre passant d’héroïne à victime. Un retournement de situation qui ne plaît pas du tout aux associations féministes et à certains lecteurs qui considèrent le traitement de Batgirl beaucoup trop violent. Beaucoup auront souligné le caractère irrémédiable des blessures infligées aux personnages féminins dans l’industrie des comics et de fait, sa rencontre avec le Joker aura eu raison non seulement de la carrière de Batgirl mais aussi de son corps, de sa réputation. Dorénavant en fauteuil roulant, le personnage semble destiné à tomber une nouvelle fois dans l’oubli.

C’était sans compter sur le duo d’auteur et illustrateur Kim Yale et John Ostrander qui, décidés à faire renaître Barbara Gordon de ses cendres, ont imaginé la réhabilitation lente du personnage en en créant un autre : Oracle. En s’inspirant du caractère, de l’histoire et de l’état de santé de Batgirl, Yale a créé un personnage mystérieux, d’une intelligence rare, aussi efficace et fascinante qu’elle pouvait l’être dans sa vie précédente. La force de l’équipe créative aura été de garder la vraie identité d’Oracle secrète durant deux ans, offrant au lecteur un personnage charismatique et intéressant, non pas défini par son handicap. Le personnage plaît et prend une part importante dans différents comics avant de devenir l’arme secrète de Batman. Rejoignant celui qui a été son mentor, elle use de ses nombreuses capacités pour le renseigner et l’aider. En se rendant indispensable, elle devient son égal : une place de choix pour un personnage jusque-là relégué au simple rang de compagnon.

DC Comics laisse de plus en plus de place à Barbara : elle devient une des fondatrices du groupe d’héroïnes Birds of Prey, rejointe plus tard par la troisième Batgirl de l’histoire, Helena Bertinelli aussi connue sous le nom de Huntress. Oracle ne s’arrête pas là et devient le mentor d’une quatrième Batgirl, Cassandra Cain, la première de l’histoire à obtenir sa propre série de comics.

En 2000 et après 40 ans d’existence, Batgirl devient le personnage principal d’une oeuvre. Cassandra Cain marquera l’histoire de DC Comics en devenant la première Batgirl à obtenir une série de comics mensuels à son nom. Un évènement important qui reste un choix surprenant : elle est très différente de ce à quoi le lecteur est habitué.
Élevée dans le but unique de devenir le meilleur garde du corps pour Ra’s al Ghul, Cassandra n’a pas appris à parler : son père préférant concentrer son apprentissage sur l’interprétation des mouvements corporels. Après avoir assassiné un homme à l’âge de huit ans, elle réalise l’horreur de sa situation et fuit. Neuf ans plus tard, elle sauve le commissaire Gordon d’une tentative d’assassinat orchestrée par son père. En conséquence, Oracle et Batman la recueillent lui offrant un toit et la chance de devenir quelqu’un de bien, sous le masque de Batgirl.
Malgré son passé original, les lecteurs l’accueillent chaleureusement faisant entrer les comics Batgirl dans les meilleures ventes du début du siècle. Une réussite, sans nul doute, jusqu’à la parution en 2006 de One Year Later.

En 2006, dans le comic One Year Later, on découvre que Cassandra Cain est devenue un membre dirigeant de la ligue des assassins et a abandonné son costume d’héroïne et les valeurs qu’il reflète. Après des années à oublier et faire pardonner son passé de criminelle, Cain détruit sa réputation et avec elle celle des Batgirls en rejoignant une organisation criminelle. Consternés, de nombreux lecteurs font connaître leur mécontentement à DC Comics, accusé d’avoir voulu jouer sur la surprise sans prendre en compte ni respecter l’histoire de l’héroïne. Plusieurs pétitions sont alors envoyées à la maison d’édition réclamant une correction du comics de façon à faire revenir Cassandra dans le droit chemin. Si l’histoire n’est pas modifiée, les auteurs tentent de rattraper le coup en attribuant ce revirement de situation à la manipulation de l’héroïne par le vilain Deathtrokes. Le mal est fait : Cassandra Cain deviendra Black Bat après avoir été déchue de son titre de Batgirl, laissant la place libre pour le grand retour d’une héroïne devenue culte.

La longue histoire des Batgirls touche bientôt à sa fin, car après avoir tenté en vain de faire revenir Batgirl sur le devant de la scène à travers Stephanie Brown, elle aussi fille de vilain, DC Comics s’est tourné vers une valeur sûre pour reprendre la cape. Guérie des blessures subies dans The Killing Joke, notamment grâce à de la chirurgie expérimentale, Barbara Gordon peut à nouveau marcher et est de retour dans le rôle de Batgirl. Un énième rebondissement qui n’aura pas laissé les fans de glace : si la place dorénavant accordée à Barbara n’est que justice au regard de son passé, sa réhabilitation soudaine écorche la diversité installée parmi les personnages de DC Comics. À travers Oracle, Kim Yale avait ouvert la possibilité d’installer des personnages handicapés dans des rôles majeurs, son départ aura laissé une place libre, non pourvue à ce jour.

L’histoire de Batgirl est longue, certes, mais fascinante : en 40 ans elle aura évolué en même temps que la société américaine et que DC Comics passant d’un personnage de second plan à une icône de pop culture. Entre controverse et succès, la maison d’édition aura fait grandir ses héroïnes, leur permettant de mûrir et de changer l’image qu’on a des personnages féminins dans les comics. En 2014, DC Comics a su relancer l’intérêt des fans pour l’héroïne masquée en dévoilant un reboot de ses aventures à l’intention de ses jeunes lecteurs et si le meilleur comme le pire peut encore arriver à Batgirl, nous savons dorénavant qu’elle ne disparaîtra pas de sitôt de l’univers DC Comics.

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