Découvrez la vie d’Henrietta Lacks, une femme née au début du XXe siècle, morte d’un cancer en 1955, qui a permis certaines des plus grandes découvertes scientifiques du XXe siècle. Aujourd’hui encore, les cellules « immortelles » d’Henrietta vivent dans les laboratoires du monde entier.
LA VIE D’HENRIETTA LACKS
Henrietta Pleasant est née en 1920, à Roanoke, une petite ville de Virginie. En 1924, sa mère meurt en donnant naissance à son dixième enfant et son père a bien du mal à subvenir aux besoins de sa famille. C’est ainsi que les Lacks déménagent à Clover, berceau de la famille Pleasant, où les enfants sont répartis chez des cousins plus ou moins proches. Henrietta arrive ainsi chez son grand-père, Tommy Lacks, qui vit dans une petite maison qui servait autrefois de logement pour les esclaves d’une plantation voisine qui a appartenu à son arrière-grand-père qui était blanc. Elle partage sa chambre avec un cousin, David Lacks, de cinq ans son aîné, qu’elle épousera bien des années plus tard.
Elle commence à travailler dès son plus jeune âge dans un champ de tabac et donne naissance à son premier enfant à l’âge de 14 ans. Quatre ans ans plus tard, elle a un deuxième enfant, une fille, qui souffre de troubles du développement. Face au manque de travail dans la région, le couple et leurs deux enfants déménagent à Sparrow’s Point, afin d’intégrer l’une des plus grandes usines métallurgiques du pays. C’est à ce moment que son mari est appelé pour participer à l’effort de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Avant de partir, il réussit à acheter une maison dans le Maryland, à Dundalk, au sein de la plus grande et la plus ancienne communauté afro-américaine de la région de Baltimore.
DURANT SON TRAITEMENT, 2 ÉCHANTILLONS SONT PRÉLEVÉS À L’INSU DE SA FAMILLE
Henrietta aura encore 3 enfants et c’est suite à son dernier accouchement qu’une anomalie est détectée chez elle. Elle est envoyée au seul hôpital de la région qui traite les personnes noires, le Johns Hopkins Hospital, avant d’être transférée au « Hospital for The Negro Insane ». On lui diagnostique un cancer du col de l’utérus à développement très rapide.
Durant son traitement, deux échantillons sont prélevés à l’insu de la famille et ces derniers sont confiés au docteur George Otto Gey, chercheur à l’hôpital qui avait pour habitude d’obtenir ses échantillons auprès des patients. Elle meurt huit mois après avoir été diagnostiquée, à l’âge de 31 ans alors que son cancer s’était métastasé dans tout son corps. Là encore, des échantillons sont prélevés sur le corps d’Henrietta, contre l’avis de la famille qui avait cette fois été mise au courant mais avait refusé.
SES CELLULES SONT UNIQUES ET SE MULTIPLIENT À L’INFINI
Ces cellules sont uniques et avaient la possibilité de se multiplier à l’infini, à l’inverse des cellules normales qui se multiplient un certain nombre de fois avant de mourir, ce qui pousse aujourd’hui certains scientifiques à considérer les cellules, nommées HeLa, comme étant immortelles.
Henrietta est enterrée dans le cimetière familial à Halifax County en Virginie où l’on retrouve tous les membres de leur famille depuis l’arrivée des Lacks aux États-Unis en tant qu’esclaves. L’emplacement exact de la tombe est inconnu encore aujourd’hui.
UTILISATION D’HELA POUR LA RECHERCHE
Comme dit précédemment, George Otto Gey, le premier médecin à étudier les cellules cancéreuses d’Henrietta Lacks, a tout de suite été surpris par la rapidité de reproduction de ces cellules alors qu’à l’époque, les échantillons en laboratoire ne survivaient que quelques jours au mieux. Cela a immédiatement permis de réaliser de réels travaux grâce à sa capacité à se multiplier à l’infini, ce qui a valu à ces échantillons d’être qualifiés d’immortels. De plus, après la mort d’Henrietta Lacks, les chercheurs se sont permis de prendre d’autres tissus sur son corps à la morgue de l’hôpital. Ces différents échantillons ont permis de créer la lignée de cellules encore utilisée aujourd’hui. Le nom HeLa vient simplement du fait que George Gey avait pour habitude de ne garder que les deux premières lettres des patients pour désigner ses différents échantillons.
Ces lignées ont depuis permis de réaliser certaines des plus grandes avancées scientifiques du 20e siècle. Parmi celles-ci, nous pouvons par exemple citer Jonas Salk qui a utilisé des cellules HeLa en 1954 pour développer son vaccin contre la polio. C’est d’ailleurs au début des années 50, et dans le but de conserver au mieux les cellules que sont mis en place les protocoles de culture de cellules encore utilisés en laboratoire aujourd’hui, ainsi que les méthodes de congélation et de conservation de ces lignées.
Dans un livre écrit sur le sujet par Rebecca Skloot, on y apprend notamment que plus de 60 000 publications scientifiques ont été réalisées grâce aux cellules HeLa, et ce, à une vitesse fulgurante dès les années 50 de 300 articles par mois. En 1955, Theodore Puck réussit pour la première fois de l’histoire à cloner des cellules et depuis, HeLa a servi la recherche dans le domaine du cancer, du virus du HIV, des effets sur le corps humain des radiations ou des substances toxiques, des cosmétiques ou encore dans le séquençage de l’ADN.
DANS LES ANNÉES 60, DES CELLULES HELA SONT ENVOYÉES POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS L’ESPACE
Dans les années 60, l’aventure spatiale prend de l’ampleur et des cellules HeLa sont envoyées pour la première fois dans l’espace à l’intérieur d’un satellite russe. La Nasa retente l’expérience des années après dans le but d’en apprendre plus sur la division cellulaire en apesanteur. En 1973, HeLa permet une modélisation des salmonelles et facilite la compréhension du mode d’infection.
En 1984, Harald Zur Hausen découvre que le papillomavirus humain, appelé aussi HPV, joue un rôle dans le cancer du col de l’utérus ce qui lui permet plus tard de développer un vaccin et obtient finalement le prix Nobel en 2009. Enfin, les cellules sont utilisées depuis 2005 en nanotechnologies dans le but de comprendre les effets des nanoparticules sur le vivant. On estime que depuis les années 50, 20 tonnes de cellules HeLa ont été produites.
LA DÉCOUVERTE DE HELA PAR LA FAMILLE
Suite à la contamination d’HeLa par d’autres cellules en laboratoire, des chercheurs contactent la famille Lacks afin de demander des échantillons de sang. Le but est simple : retrouver la « souche » originelle d’HeLa à partir des ressemblances génétiques qu’elle partage avec sa famille. C’est ainsi que les membres de la famille commencent à se poser des questions et parlent enfin des circonstances de la mort d’Henrietta, qui restait jusque-là un traumatisme dû à la rapidité de la maladie.
En 1975, ils découvrent par hasard que les échantillons prélevés sans qu’ils le sachent étaient encore utilisés en laboratoire. Une bataille juridique s’engage alors, notamment pour lutter contre l’usage commercial de ces cellules, mais surtout lorsque les dossiers médicaux de la famille sont publiés dans les années 80 sans le consentement de la famille. Depuis la décision d’un juge en 1990, il a été décidé que les tissus humains ne sont pas une propriété et qu’ils ne peuvent donc pas être commercialisé. Seuls la production et le transport sont aujourd’hui facturés lorsque des scientifiques achètent des lignées de cellules HeLa.
REBECCA SKLOOT A EFFECTUÉ UN TRAVAIL DE RECHERCHES ÉNORME SUR TOUTE L’HISTOIRE DE HENRIETTA LACKS
En 2010, L’auteure et journaliste Rebecca Skloot effectue un travail de recherche énorme sur toute l’histoire qui entoure Henrietta Lacks et révèle l’affaire auprès du grand public dans un livre intitulé « La vie éternelle d’Henrietta Lacks » basé sur les souvenirs de la famille mais aussi sur des archives publiques et scientifiques. Cette source compilée donne enfin les moyens à cette famille, encore aujourd’hui très modeste, de se battre pour ses droits. L’auteure les prévient aussi lorsqu’en 2013, le séquençage ADN des cellules HeLa est publié. Depuis, la famille a obtenu le contrôle total du séquençage, ainsi que deux places au sein du comité, qui régule l’utilisation de ces cellules.
LES QUESTIONS ÉTHIQUES AUTOUR DE HELA
C’est cependant sur ces points que de grandes questions éthiques sont posées. Non seulement, les premiers échantillons ont été utilisés contre le consentement de la patiente, mais de graves entraves aux règles éthiques ont été faites depuis les années 50. En effet, lorsque Jonas Salk développe son vaccin contre la polio, il a besoin d’une grande quantité de cellules, c’est ainsi qu’est créée la première usine à cellules de l’histoire dans l’université de Tuskegee.
Face à la demande mondiale croissante, des laboratoires privés s’en mêlent et beaucoup considèrent aujourd’hui qu’ils ont fait leur fortune sur ces lignées obtenues illégalement. Plus tard, Chester Southam, injecte ces cellules cancéreuses à des prisonniers du pénitencier de l’état de l’Ohio afin de tester l’effet de ces cellules malades sur un corps sain. Les cobayes n’étaient bien sûr pas au courant de ce qu’ils recevaient. Et il s’agit là de quelques exemples sur l’ensemble des utilisations douteuses de ces cellules.
En 2010, Roland Pattillo, qui avait travaillé avec George Gey et connaissait bien la famille a offert une pierre tombale qui a été améliorée avec l’aide d’une levée de fonds. Celle-ci a la forme d’un livre et l’on peut y lire « en mémoire à une femme phénoménale, femme et mère qui a touché de nombreuses vies. Ici gît Henrietta Lacks (HeLa). Ses cellules immortelles continuent d’aider l’humanité pour toujours. ».