Dernière mission du programme spatial Apollo à emmener des hommes sur la Lune, Apollo 17 a vu l’un de ses astronautes souffrir d’un bien étrange mal : une allergie à la poussière lunaire. Retour sur cette mission historique riche en découvertes.

Nous sommes en décembre 1972. Les astronautes Eugene Cernan et Harrison « Jack » Schmitt viennent de terminer une mission d’observation de 3 jours dans la vallée de Taurus-Littrow, située au sud-est de la mer de la Tranquillité.

Une fois à l’intérieur du module lunaire d’Apollo 17, les deux hommes retirent leur casque et entreprennent d’épousseter leurs combinaisons spatiales couvertes de poussière lunaire. Soudain, Schmitt commence à éternuer, ses yeux rougissent, sa gorge le démange et ses sinus se bouchent.

« Je ne savais pas que je souffrais du rhume des foins lunaire », déclare Schmitt à l’occasion d’une communication radio avec le centre de contrôle de la NASA. L’homme est en réalité « allergique » à la poussière lunaire.

« JE NE SAVAIS PAS QUE JE SOUFFRAIS DU RHUME DES FOINS LUNAIRE »

Les trois astronautes de la mission Apollo 17 : Harrison Schmitt (à gauche), Gene Cernan (au centre) et Ronald Evans (à droite)

Comme l’explique Larry Taylor, directeur du Planetary Geosciences Institute, le plus difficile n’était pas d’atteindre la Lune, mais de supporter sa poussière : « La poussière, la poussière et encore la poussière. Les astronautes des missions Apollo en ont terriblement souffert. »

Lors de la mission Apollo 11, les astronautes avaient déclaré que « les particules de poussière lunaire recouvraient absolument tout, malgré nos efforts répétés pour nous en débarrasser », tandis qu’un membre de l’équipage d’Apollo 12 estimait qu’il y avait « tellement de poussière à l’intérieur du module lunaire » qu’il avait « presque été aveuglé » en retirant son casque.

La poussière lunaire ne s’érode jamais

Si la poussière lunaire, ou régolithe, semble parfaitement inoffensive au premier abord, elle est en réalité terriblement abrasive. Produite par la dégradation des roches sous-jacentes due à l’impact des météorites et du vent solaire à la surface de notre satellite, cette dernière ne s’érode jamais.

Inhaler cette poussière qui s’apparente grosso modo à du verre pulvérisé est loin d’être sans risque pour les astronautes : une inspiration profonde, et les minuscules particules de poussière lunaire hautement abrasives risquent de transpercer leurs alvéoles pulmonaires.

LES MINUSCULES PARTICULES DE POUSSIÈRE HAUTEMENT ABRASIVES PEUVENT TRANSPERCER LES ALVÉOLES PULMONAIRES DES ASTRONAUTES

Cette version lunaire de la « maladie du mineur », plus connue sous le nom de silicose, ne constitue pas le seul risque pour les astronautes. La poussière lunaire s’avère également extrêmement riche en fer, et cause de nombreux cas d’hypertension chez les astronautes du programme Apollo.

Des risques qui n’ont cependant jamais dissuadé Harrison Schmitt de prendre part à la mission Apollo 17. Le géologue formé à Harvard étudie depuis de nombreuses années le paysage lunaire, et lorsque la NASA demande si des scientifiques se portent volontaires pour visiter l’espace, Schmitt n’hésite pas.

Comme il l’expliquait à l’occasion d’une interview en 1999 : « J‘ai réfléchi environ 10 secondes, j’ai levé la main, et je me suis porté volontaire. »

Aucun astronaute ne connaît mieux la géologie lunaire que Schmitt. Tous ceux qui ont participé aux précédentes missions Apollo étaient pilotes militaires, et Schmitt deviendra le seul scientifique de l’histoire à mettre le pied sur la Lune.

Le New York Times décrit l’homme de 37 ans comme « un célibataire discret et sérieux qui ne possède ni téléviseur ni chaîne stéréo ».

Durant 53 semaines, Harrison Schmitt suit un entrainement soutenu et apprend à piloter le module Apollo. Le scientifique n’imagine évidemment pas une seule seconde être allergique à la poussière lunaire et aux roches qu’il étudie depuis des années.

Le 11 décembre 1972, Schmitt et Cernan se posent dans la vallée de Taurus-Littrow. Lors de l’une de ses sorties, le rover lunaire perd un garde-boue, et soulève d’énormes quantités de poussière. Les sédiments se logent dans les moindres plis de la combinaison de Schmitt et la raidissent tellement qu’il a du mal à bouger ses bras.

Le rover lunaire d’Apollo 17 piloté par Eugene Cernan

UNE POUSSIÈRE TERRIBLEMENT ABRASIVE

La poussière lunaire s’attaque aussi à d’autres éléments de la combinaison de l’astronaute, comme l’explique Larry Taylor : « La poussière lunaire était si abrasive qu’elle a traversé les trois couches de matériau semblable au Kevlar qui composaient les bottes de Schmitt. »

Lorsque les deux astronautes retournent au module lunaire, il leur faut une éternité pour se débarrasser de la poussière qui les recouvre. Schmitt reconnaîtra plus tard : « Je souffrais de sévères irritations des sinus et des narines juste après avoir retiré mon casque. La poussière gênait ma vision et encombrait ma gorge. Je pouvais sentir son goût. »

Des symptômes qui viennent appuyer les conclusions du docteur Bill Carpentier, médecin de la NASA qui avait été le premier à évoquer les possibles réactions allergiques provoquées par la poussière lunaire.

Ces réactions allergiques n’ont cependant pas empêché le géologue de mener à bien sa mission. Apollo 17 a recueilli plus d’échantillons de roche que toute autre mission du programme spatial américain, et l’échantillon de roche vieux de 4,2 milliards d’années baptisé « Troctolite 76535 » a notamment aidé les scientifiques à percer les secrets du champ magnétique lunaire.

L’ÉCHANTILLON « TROCTOLITE 76535 » A AIDÉ LES SCIENTIFIQUES À PERCER LES SECRETS DU CHAMP MAGNÉTIQUE LUNAIRE

Schmitt a également découvert de minuscules fragments de verre volcanique, qui prouvaient non seulement que la Lune avait autrefois une forte activité volcanique, mais qu’elle abritait également de l’eau. Les astronautes de la mission Apollo 17 ont aussi pris l’un des clichés les plus célèbres de notre planète : La Bille bleue (ci-dessus), première image montrant la Terre complètement éclairée.

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