Débordés, affairés, stressés, occupés, aspirés… Les qualificatifs ne manquent pas pour désigner les workaholic, ces acharnés du travail bien fait qui répètent à qui veut l’entendre qu’ils n’ont le temps de rien si ce n’est métro-boulot-dodo. Plus qu’un vilain mensonge destiné à valoriser sa productivité ou s’épargner les sorties en boîte, le sempiternel « je n’ai pas une minute à moi » rassurerait les gens sur le sens de leur existence…

Un problème de génération

En 2015, l’agence de communication Havas Worldwide publiait le rapport d’une étude qui cherchait à comprendre comment notre monde – en perpétuelle effervescence – affectait nos manières de vivre, penser, et travailler. Menée auprès de 10 000 adultes de 28 pays, l’étude a notamment demandé aux participants s’ils n’exagéraient pas – un petit peu – lorsqu’ils prétendaient souffrir d’un emploi du temps surchargé. Réponse : 40 % des sondés ont confessé avoir déjà recouru à ce stratagème. Une ruse de vieux renard plus ou moins plébiscitée suivant les générations.

Nous distinguons 4 générations : les baby boomers nés dans les années 40-60 ; la génération X née dans les 60-80 ; la génération Y née dans les années 80-2000; et les Millenials nés après 2000. Si les baby boomers et la génération X sont plutôt réticents à s’inventer un emploi du temps de ministre – seuls 26 % et 36 % ont cédé – la génération Y y a recours très fréquemment : 51 % reconnaissent l’avoir déjà fait ! Mais ils ne sont pas dupes pour autant : 60 % d’entre eux savent pertinemment que cette excuse n’est pas valable pour tout le monde. Ils sont même 65 % à admettre que « la plupart des gens font semblant d’être plus débordés qu’ils ne le sont.».

Le temps, c’est de l’argent

Les résultats de l’étude n’ont rien de surprenant pour les chercheurs, ils découlent logiquement de nos modèles de sociétés : plus un salarié paraît débordé, plus il paraît impliqué dans la vie de l’entreprise, plus il paraît dévoué à la cause générale, plus il paraît performant aux yeux de ses supérieurs et de ses collègues, plus il est salué et récompensé. Cette vieille idée reçue selon laquelle le temps de travail serait proportionnel à la productivité a depuis longtemps été démontée par Les Décodeurs. Et George Osborne de The Economist de rappeler que « les Français pourraient être en congés le vendredi, ils produiraient toujours plus que les Britanniques en une semaine ».

Dans un article du New-York Times, l’essayiste et dessinateur Tim Kreider écrit : « Être constamment débordé est une manière de se rassurer sur son existence et de combattre de le vide ; évidemment, si vous avez la tête dans le guidon et que vous êtes sollicité à toutes heures de la journée, votre vie ne peut pas être insignifiante ou sans intérêt. ». Ce petit mensonge – ou légère exagération suivant les cas – ne servirait donc pas seulement à nous fournir une raison en béton pour justifier de notre absence à quelque événement lourdaud : il nous permettrait inconsciemment de nous sentir utile à quelque chose !

Un surmenage professionnel que beaucoup de pays valorisent, à l’image de l’Espagne, la Chine, l’Inde et le Brésil, qui vouent une certaine admiration à ces dévoués employés. Les Brésiliens sont même 58 % à les trouver plus intéressants que les gens lambda ! Une tendance beaucoup moins prononcée en Italie, en Belgique et en Australie, où l’on préfère une vie moins rythmée, moins speed… Bref, une vie où l’on travaille pour vivre et non l’inverse ! La prochaine fois qu’un de vos amis prétextera un planning trop surchargé pour ne pas se rendre à l’une de vos soirées, gardez en tête que derrière ce mensonge – que l’on a tous invoqué à un moment ou un autre – se cache une auto-persuasion destinée à combler un sérieux vide existentiel ; alors ne soyez pas trop dur avec lui.

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