L’évolution a façonné chaque aspect de la biologie moderne à partir d’ancêtres souvent méconnaissables. Dans une révélation qui bouleverse la compréhension de l’évolution des vertébrés, des scientifiques ont mis au jour des preuves fossilisées reliant l’architecture des épaules humaines à des structures osseuses trouvées dans la gorge des poissons anciens. Publiées dans la revue Nature, ces découvertes tracent un parcours évolutif depuis les arcs branchiaux – des structures osseuses qui entourent la gorge des poissons – jusqu’à l’épaule moderne des vertébrés.
La découverte capitale
Cette avancée offre une synthèse de deux hypothèses préexistantes concernant la provenance des os qui relient les bras au torse, l’une évoquant une origine crânienne et l’autre des plis latéraux du corps des poissons anciens. Des fossiles datant de 400 millions d’années ont été minutieusement examinés pour étayer cette théorie, chaque structure ayant vraisemblablement joué un rôle déterminant dans l’apparition des membres.
Pendant longtemps, les ichtyologistes ont soutenu que l’arc branchial le plus développé d’un ancêtre avait donné naissance aux mâchoires. Par la suite, un autre arc branchial a donné naissance à l’hyoïde, un os de la tête. Dans les années 1800, les biologistes ont émis l’hypothèse que d’autres arcs branchiaux avaient donné naissance à la ceinture pectorale, qui a donné naissance à l’épaule humaine.
Certains ont affirmé que les plis latéraux, qui sont des lambeaux de tissus mous s’étendant sur toute la longueur du corps d’un poisson et représentant des tissus du tronc plutôt que de la tête, étaient à l’origine des nageoires paires et des mécanismes qui les soutiennent. Bien que « la ceinture soit plus complexe, car elle est liée à la tête et à sa musculature », Martin Brazeau, paléontologue à l’Imperial College de Londres, estime qu’il est logique que les bras et les jambes soient nés dans ces plis.
Les placodermes, des fenêtres sur le passé
Une découverte fortuite de Martin Brazeau a conduit à une percée significative. En examinant des scans d’un crâne fossile de placoderme, appelé Kolymaspis sibirica, collecté il y a plus de 60 ans en Sibérie, il a identifié une fente mystérieuse qui aurait pu abriter du cartilage lié aux arcs branchiaux. Ce détail a inspiré une réévaluation des fossiles et des dessins anciens, révélant que cette fente correspondait effectivement à un point d’attache pour des muscles aujourd’hui disparus.
Brazeau et ses collaborateurs soutiennent que, puisqu’il n’y a que cinq arcs branchiaux connus chez les placodermes, la ceinture pectorale provient du sixième arc branchial qui a depuis évolué en mâchoires et en hyoïdes. L’évolution de la ceinture pectorale à partir des arcs branchiaux a permis aux premiers poissons de mieux s’alimenter et a jeté les bases des systèmes d’alimentation diversifiés chez les poissons actuels. Au fil du temps, cette structure a évolué pour soutenir les nageoires paires, prouvant une fois de plus l’ingéniosité de l’évolution naturelle.
La zone, potentiellement le vestige d’un sixième arc branchial, constituerait une démarcation entre les tissus de la tête et ceux du tronc. Ce point de repère identique a été découvert chez les ostéostracés sans mâchoire, un groupe de poissons disparus. Bien que les fossiles de vaisseaux sanguins indiquent que les systèmes circulatoires de la tête et du tronc se sont séparés après le sixième arc branchial, ces poissons n’ont pas de tête et d’épaule reconnaissables.
La contribution des fossiles
Des experts comme William Bemis de l’université Cornell et Rui Diogo de l’université Howard ont reconnu l’importance de ces nouvelles données, bien que certains détails restent conjecturaux faute de preuves fossiles des arcs branchiaux eux-mêmes. Néanmoins, Diogo souligne que les preuves issues de la recherche embryologique s’alignent avec ces observations fossilisées, suggérant une convergence d’indices vers cette conclusion fascinante : notre capacité à manipuler notre environnement avec nos bras trouve ses racines dans l’histoire évolutive des poissons.
Les récentes découvertes sur l’origine des épaules chez les vertébrés ne sont pas seulement une avancée scientifique, elles sont un rappel éloquent de notre lien avec le passé lointain de la Terre. En déchiffrant les indices laissés par les placodermes, les scientifiques ont rapproché le monde des poissons primitifs et celui des êtres humains, témoignant du parcours évolutif qui a mené à la complexité de la vie telle que nous la connaissons.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Source: Science
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