Une étude scientifique menée en Allemagne entre 1989 et 2016 a permis de conclure à une baisse significative de la biomasse des insectes : elle a diminué de 76 % en 27 ans ! Et personne n’est capable de comprendre pourquoi…

 

L’effet pare-brise

Il n’y a pas si longtemps, les pare-brises des conducteurs aoûtiens subissaient les assauts de centaines de petites taches vertes et marrons qui, quelques minutes auparavant, étaient encore de gentils petits insectes. Ces malencontreuses tueries de masse estivales ont inspiré aux biologistes une appellation relative à la disparition des insectes volants : l’effet pare-brise. « Je pense que nous sommes tous perturbés par le fait de rencontrer de moins en moins d’insectes », admet Scott Black, directeur exécutif de la Oregon-based Xerces Society de Portland; une association environnementale à but non lucratif qui promeut la préservation des insectes.

« Par une chaude nuit d’été, vous pouviez les voir danser autour des lampadaires »

L’effet pare-brise est très sérieux : un nombre croissant d’études pointent du doigt la baisse des populations d’insectes. « L’effet pare-brise est probablement l’une des meilleures manières d’illustrer la disparition d’insectes volants à laquelle nous sommes confrontés », reconnaît Caspar Hallmann, un écologiste de l’Université de Radboud aux Pays-Bas.

 

27 ans plus tard, le déclin

Hallmann fait partie d’une équipe qui a littéralement pataugé dans 27 années de prélèvements d’insectes effectués dans la nature allemande. Entre 1989 et 2016, selon un rapport publié mercredi 18 octobre dans le journal PLOS One, la biomasse des insectes volants capturés dans ces régions à chuté de 76 % par rapport aux moyennes saisonnières. Bien qu’il n’ait pas fait partie de l’équipe, l’entomologiste John Losey, de l’Université de Cornell à New-York, a avoué être impressionné par la portée de ces recherches à travers le temps et l’espace.

Les insectes ont tous été capturés en Allemagne, dans 63 parcs protégés : forêts, marais, dunes de sable, prairies, friches, maquis… « Ce déclin est arrivé dans les réserves naturelles, des lieux censés garantir la préservation de la biodiversité et de l’écosystème. C’est une catastrophe ! ». Bien sûr, certains insectes ne nous manqueront pas – les tiques et nuisibles en pole position – mais la plupart d’entre eux sont des éléments indispensables à la bonne santé de l’écosystème; même les moustiques sont utiles à quelque chose : ils figurent au menu de nombreux animaux dont les poissons !

 

Petite taille, gros bénéf’

En 2006, Losey et son collègue entomologiste Mace Vaughan estimaient que les insectes sauvages produisaient jusqu’à 57 milliards de dollars de service d’entretien chaque année aux États-Unis : ils enterrent le fumier animal, pollinisent les plantes, s’attaquent aux nuisibles… Scott Black rappelle volontiers combien le rôle des insectes est méconnu et sous-estimé par les êtres humains : « Si vous aimez vous repaître de fruits et légumes, vous devriez remercier les insectes. Si vous aimez le saumon, vous devriez remercier les mouches dont ils se nourrissent dès le plus jeune âge », rappelle Black.

« La fabrique entière de notre planète repose sur la relation entre plantes et insectes. »

Ce qui rend cette recherche si remarquable, c’est jusqu’où le déclin observé s’est étendu. D’autres estimations concluent à une perte de 50 % de la biomasse – inquiétant, mais pas aussi alarmiste que l’étude menée en Allemagne. Les chercheurs ont attrapé des insectes dans ce qu’ils appellent des « malaise trap ». Les insectes volent jusqu’à la tente en toile et atterrissent alors dans une petite jarre. Les scientifiques ont jugé la capture d’insectes par la masse : c’est une preuve d’abondance mais pas de diversité, une mesure qu’ils appellent la biomasse.

 

L’Homme, encore et toujours !

À la fin des 27 années d’analyse, la biomasse des insectes tournait autour des 54 kilogrammes. Et les auteurs de l’étude de rappeler que cette masse représente des millions d’individus. Les plus importantes chutes de la biomasse des insectes interviennent pile au moment où ils devraient être les plus actifs : en été. « Apparemment, quand les densités d’insectes sont les plus hautes, les déclins sont les plus significatifs. Malheureusement, nous ne savons toujours pas pourquoi » déplore Hallmann.

De précédentes recherches s’étaient focalisées sur certains groupes d’insectes comme les coccinelles ou les papillons monarques de Californie; elles aussi ont révélé des chutes démographiques. « Je ne connais aucune étude qui dresse un diagnostic positif de la biomasse des insectes » assure Black. Pour Hallmann, leur étude en Allemagne pourrait être « représentative de ce qui se passe dans différentes parties monde » où l’agriculture intensive et la domination du paysage par l’Homme jouent clairement un rôle décisif.

 

Origine inconnue…

Les auteurs de la nouvelle étude ont essayé de comprendre les origines de ce déclin. Les investigations menées par les scientifiques sur le changement climatique et d’autres variables ont toutefois écarté de l’équation le facteur température : les hausse de température survenue pendant l’étude auraient logiquement dû bénéficier aux insectes volants. Un potentiel responsable serait l’altération du paysage, avec l’agriculture et son fameux tandem fertiliseur – pesticide.

Malgré des études alarmistes et peu optimistes, Black tempère : rien n’est joué d’avance. « Bien que je déprime chaque fois que j’ai connaissance de ces études, je vois des dizaines de milliers de gens lambda qui s’engagent à faire de leur mieux pour remettre la Terre en état. ». Aider ces petits acteurs du changement ne demande pas beaucoup d’effort : la restauration de l’environnement passe par un petit jardin garni de plantes qui fleurissent chaque année. Contrairement aux mammifères, les insectes n’ont pas besoin de gigantesques parcelles de terrain pour vivre heureux, une petite arrière cour avec quelques fleurs contribuera amplement à leur bonheur.

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