Certainement le réalisateur mexicain le plus populaire de sa génération, Guillermo del Toro parvient à toucher ses spectateurs grâce à des histoires qui oscillent entre l’horreur et le conte de fées. Fasciné par le symbolisme, ses films sont tous reliés par la place primordiale qu’y tient le passé des personnages. Lumière sur les thèmes chers à ce réalisateur et que l’on retrouve dans tous ses films.
Né à Guadalajara le 9 octobre 1964, Guillermo grandit dans une famille catholique respectueuse des traditions et hautement religieuse. Dès l’enfance, il a accès à une caméra appartenant à son père et s’amuse à faire des petits films avec ses jouets. Naturellement, il dirige ses études vers le cinéma alors qu’il continue de nombreux projets durant son temps libre. Il réalise cinq épisodes de La hora marcada, une série sur laquelle sont passés de nombreux réalisateurs célèbres mexicains, dont Alfonso Cuarón. En 1993, il écrit et réalise Cronos, un film d’horreur et de vampire qui commence déjà à creuser le sillon dans lequel Del Toro va évoluer tout au long de sa carrière.
Et si des thèmes reviennent tout au long de ses films, ce n’est vraiment pas par hasard. Car selon les propres mots de Del Toro, un réalisateur ne produit au final qu’un film. Sa filmographie représente un tout : « Certaines personnes me disent qu’elles préfèrent mes films mexicains à ceux que je fais pour Hollywood parce qu’ils sont plus personnels et elles ont complètement tort ! Hellboy est aussi personnel que Le Labyrinthe de Pan. Le ton est différent, vous pouvez aimer l’un et pas l’autre, l’un peut vous sembler banal ou quoi que ce soit d’autre. Mais dans le fond, ils font partie du même film. Un réalisateur ne fait qu’un film. Hitchcock n’a fait qu’un film tout au long de sa vie. »
« Hellboy est aussi personnel que le Labyrinthe de Pan »
Dans Crimson Peak, cela devient encore plus clair. Inspiré par les films de la Hammer, les romans gothiques et les peintures victoriennes, Crimson Peak nous fait faire connaissance avec la jeune Édith, tentant de vendre l’un de ses romans à un critique qui lui répond qu’une femme devrait écrire des histoires d’amour et non des histoires d’horreur avec des fantômes. Elle tente de lui dire que le fantôme n’est qu’une métaphore et qu’il représente en fait le passé du personnage, mais l’homme n’en a que faire. Avec cette information, on peut déjà comprendre une bonne partie de la filmographie de Del Toro.
L’idée principale est en effet que les humains sont hantés par leurs propres histoires, leur passé et tout ce qui s’y rattache. Et pour s’accomplir et vivre heureux, ils devront exorciser ce passé, passer par ce chemin initiatique qui est le centre de l’attention lors des différents films du réalisateur. Édith a perdu sa mère lors de son enfance et ce qui la hante, c’est justement le fantôme de sa mère, ou du moins ce qu’elle interprète comme tel. Lorsqu’elle rencontre les deux autres personnages principaux : son mari Thomas et sa belle-soeur Lucille, elle emménage avec eux dans le grand manoir familial qui se défriche jour après jour.
les humains sont hantés par leurs propres histoires
Bien entendu, un manoir de ce genre n’apparait jamais dans un film sans un phénomène paranormal. Dans ce bâtiment sévit un autre fantôme qui, cette fois, symbolise le passé des deux autres personnages. Toute cette thématique est en réalité tirée d’une histoire de fantômes qui est racontée dans la famille de Del Toro et qu’il a entendue plusieurs fois étant petit, le marquant à jamais. Lors de la confrontation des personnages avec ces esprits, une chose devient claire : la résolution de la situation ne se fera qu’en affrontant son passé et en évitant de répéter les erreurs d’antan.
Dans L’Échine du Diable sorti en 2001, le fantôme a également une place primordiale. Un jeune garçon se retrouvant dans un orphelinat catholique durant la guerre civile espagnole de 1936 découvre que l’établissement renferme plus d’un secret, l’un d’eux étant le fantôme d’un autre enfant qui se dit coincé dans le temps, comme un insecte dans de l’ambre. Sans pouvoir accomplir la vengeance dont il a besoin pour finir son existence, le fantôme reste bloqué entre les deux mondes, soit relié aux personnages de son passé, soit au lieu du méfait relatif à son histoire. Dans les deux films, c’est la situation de ces fantômes.
Mais pas forcément besoin d’esprit pour faire passer l’idée, et c’est ce que voulait dire le réalisateur plus haut en citant Hellboy. Même dans Pacific Rim, l’histoire des personnages est exclusivement basée sur leurs relations avec leur passé. Ce qui peut rebuter certaines personnes préférant découvrir des personnages qui vivent pour le présent et dont on devine le passé de façon suggestive. Dans tous les cas, ce n’est pas la route qu’a choisie del Toro. Dans Pacific Rim, les douleurs du passé et le besoin de vengeance sont comme « une plaie ouverte ». Pour se défendre des énormes monstres nommés kaiju, les hommes construisent des jaeger, des robots géants pilotés par certaines personnes capables d’entrer en communion avec eux.
Mais pour ce faire, ou du moins pour devenir un pilote exemplaire, il est capital pour le pilote de laisser tout son bagage émotionnel derrière lui, de faire table rase du passé et de tout oublier. Il doit entrer dans son robot comme une coquille vide, « sans peur ni souvenirs ». Dans Le Labyrinthe de Pan qui est peut-être le plus marquant de sa filmographie, Del Toro se rapproche du conte de fées alors que Ofelia, le personnage principal, tente de fuir la réalité de la Seconde Guerre mondiale. Très proche du traitement de L’Échine du Diable, Ofelia doit échapper à son passé et sa situation présente en se réfugiant dans quelque chose de fantastique.
Plutôt que de devoir choisir entre les camps qui s’affrontent durant la guerre, plutôt que de répondre à l’obligation d’être réactionnaire à son époque, Ofelia décide la désobéissance et s’enfuit dans son imaginaire. Encore une fois, c’est réconcilier la réalité de son passé avec la personne que l’on veut devenir. Dans Hellboy, un film qui peut paraître bien plus superficiel, le héros est un démon venu des enfers alors qu’il était encore enfant et qui se bat maintenant pour sauver l’Humanité. Malgré toutes ses bonnes intentions, son identité et son héritage sont la première source de conflit dans la psychologie du personnage.
L’histoire présentée dans le film scinde clairement le passé ténébreux à l’avenir lumineux qui est à portée de main si l’on a le courage de saisir l’initiative. Tous ces thèmes étaient déjà présents dans ses premiers films, y compris dans Cronos, où un antiquaire combat le temps qui passe et sa propre mortalité avec un artéfact lui conférant des pouvoirs vampiriques. C’est une course perpétuelle pour l’éternité, une fuite incessante du passé qui le raccroche à sa mortalité. Dans tous les cas, lorsque l’on regarde des films de Del Toro, il faut surtout se pencher sur le symbolisme de ce que l’on retrouve à l’écran et ne pas nécessairement prendre un fantôme pour un fantôme. C’est d’autant plus vrai dans le film La Forme de l’eau, qui raconte l’incroyable histoire d’amour entre une femme muette et une créature des profondeurs.
Que ce soit des monstres qui se manifestent pour représenter une facette d’un personnage ou un fantôme dont le rôle est entièrement symbolique, les films de Guillermo del Toro font état du fait que c’est seulement en se détachant de leur passé que les personnages pourront s’accomplir humainement. Vous n’aurez plus la possibilité de changer une fois mort et coincé dans l’au-delà donc évoluez durant votre vie. Quel film de Guillermo del Toro a le plus résonné avec vous ?