Le 8 juin 1959, le sous-marin USS Barbero de la marine américaine lançait un missile de croisière à turboréacteur en direction de la base navale de Mayport, en Floride. Après un peu plus de 20 minutes passées dans les airs et 160 kilomètres parcourus, il livrerait son étrange cargaison composée de milliers de lettres, effectuant la première et dernière livraison officielle de courrier par missile aux États-Unis.
En pleine période de conquête spatiale, le lancement de ce missile était un coup médiatique évident : chacune des 3 000 lettres placées dans le fuselage du SSM-N-8A Regulus étaient signées de la main du responsable des services postaux américains Arthur A. Summerfield lui-même, et s’adressaient à d’éminents Américains, parmi lesquels figurait le président Dwight D. Eisenhower, sur un ton très solennel : « Avant que l’Homme n’atteigne la lune, le courrier sera livré en quelques heures par missiles guidés. »
Dans ces lettres, Summerfield se montrait particulièrement optimiste, insistant sur le fait que la livraison revêtait « une importance historique pour les peuples du monde entier » et que le courrier serait un jour « livré en quelques heures de New York en Californie, en Angleterre ou en Inde ».
S’il avait fallu attendre 1959 pour que le premier envoi officiel de courrier par missile soit réalisé aux États-Unis, le principe avait déjà été testé de manière assez approfondie en Europe avec des roquettes non guidées.
Dans un numéro de la revue Popular Mechanics datant de 1934, un journaliste évoquait en effet le premier service de livraison de courrier par missile mis en place en Autriche :
« Chaque missile à destination des villes de Radung ou Kumberg transporte 200 à 300 lettres acheminées par le service postal régulier. Toutes les fusées postales ont parfaitement fonctionné, chaque vol suivant scrupuleusement l’itinéraire, et on ne déplore la perte d’aucune lettre. Portant des timbres spéciaux ‘fusée’, les lettres sont placées dans un conteneur métallique pour éviter tout dommage, une précaution qui ne semble pas nécessaire, en raison de la précision avec laquelle la trajectoire des fusées a été calculée. »
Les fusées en question étaient propulsées dans les airs selon un angle de 65 degrés et plongeaient littéralement vers leur destination lorsque l’ensemble du carburant avait été brûlé, tandis que les missives qu’elles contenaient étaient stockées à l’intérieur d’un conteneur recouvert d’amiante. Une technique qui permettait un gain de temps considérable, en particulier dans ces régions montagneuses réputées difficiles d’accès.
LES PREMIÈRES TENTATIVES RÉALISÉES AUX ÉTATS-UNIS EN 1936 ÉTAIENT DE VÉRITABLES FIASCOS
Deux ans plus tard, les tentatives réalisées aux États-Unis se révélaient bien moins probantes. En février 1936, un avion fusée, censé survoler le lac gelé, était lancé depuis Greenwood Lake (État de New York) en direction de la commune d’Hewitt (New Jersey), et rien n’allait fonctionner comme prévu (comme le montre la vidéo ci-dessous).
Cependant, comme le soulignait la revue Popular Mechanics dans un numéro datant de mai 1936 :
« Malgré la courte distance parcourue, le vol de la fusée a été qualifié de succès parce qu’il a démontré certains principes de base importants pour la suite des recherches. Il a notamment démontré que ce type de moteur pouvait propulser un appareil cinquante fois plus lourd que le moteur lui-même. Cela a également permis de prouver qu’un avion fusée pouvait se maintenir de façon stable dans les airs. Dès le premier vol, il apparaît que le principe du moteur à réaction est fondamentalement viable, bien qu’il puisse encore être amélioré. »
En 1959, le dispositif utilisé avait été largement perfectionné, et le lancement à partir de l’USS Barbero (considéré comme le premier envoi officiel de courrier par missile sur le territoire américain depuis l’incident de Greenwood Lake) démontrait que le soi-disant avion fusée avait fait beaucoup de chemin.
LE MISSILE DE CROISIÈRE REGULUS ATTEIGNAIT UNE VITESSE LÉGÈREMENT INFÉRIEURE À MACH 1 ET POUVAIT COUVRIR PLUS DE 900 KILOMÈTRES
Le missile de croisière Regulus, qui achemina avec succès les 3 000 missives, avait été testé pour la première fois en mars 1951. L’engin pesait près de sept tonnes et était doté de deux propulseurs d’appoint capables de produire une poussée de 15 tonnes, ce qui lui permettait d’atteindre une vitesse de croisière légèrement inférieure à Mach 1 et de couvrir une distance de plus de 900 kilomètres.
Bien loin des dispositifs primitifs qui l’avaient précédé, ce missile de croisière se révélait incroyablement fiable et allait faire du premier envoi officiel de courrier par missile un succès retentissant, qui permettrait également aux États-Unis de démontrer discrètement l’efficacité de leurs missiles au début de la guerre froide.
Finalement, l’abandon de la livraison de courrier par missile ne résultait pas d’une question de faisabilité mais de coût économique, la distribution du courrier par avion se révélant largement plus abordable.
Dès 1931, soit des années avant que les premiers essais ne démarrent, Irving Glover, responsable des services postaux américains, prédisait que la livraison transatlantique de courrier par avion deviendrait un jour la norme : « Au vu de ce qui a déjà été accompli et de ce qui est en cours d’élaboration, j’imagine que dans un avenir très proche, un service de transport aérien mettra moins de trois jours pour transporter des lettres entre les États-Unis et l’Europe. »
Comme on pouvait s’y attendre, l’expédition du courrier par missile guidé à une époque où la poste aérienne américaine était déjà capable d’acheminer des lettres en une seule journée revêtait surtout un intérêt symbolique. Les délais de livraison légèrement plus courts que ces dispositifs offraient ne justifiaient pas un coût aussi élevé, et ce premier envoi officiel de lettres par missile serait aussi le dernier.
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