Au Sénégal, de plus en plus de femmes se retrouvent abandonnées par leurs maris et les hommes du jour au lendemain. Un phénomène des plus surprenants qui touche plusieurs villages sénégalais. En effet, afin d’avoir une vie meilleure et pour tenter de gagner leur vie, ces hommes quittent leur quotidien pour partir vers l’Europe. Il ne reste alors dans ces villages que les femmes, contraintes d’assumer toutes les charges et toutes les tâches, sous des regards malveillants et désapprobateurs.
Des hommes et des maris qui disparaissent du jour au lendemain vers l’Europe
Depuis plusieurs années, en Afrique de l’Ouest, des villages sénégalais voient partir progressivement un grand nombre de maris, de frères et de fils. Suffisamment en forme et désireux d’avoir une vie plus commode et de mieux gagner leur vie, ces hommes partent en grande partie pour l’Europe à la recherche d’argent pour aider leur famille et leurs proches. Ils ne sont pourtant jamais revenus.
Le Sénégal fait partie des pays les plus touchés par cet étonnant phénomène. Vers le milieu des années 2010, il s’agissait d’ailleurs de l’un des dix principaux pays d’origine de migrants qui arrivaient en Italie. Un fort nationalisme de la plupart des pays européens les a poussés à imposer la mise en place de contrôles sévères aux frontières. Cela a donc entraîné une brutale baisse de ces vagues de migration. Parmi ces hommes, certains sont morts au cours de la traversée du désert ou de la Méditerranée, et ne peuvent donc jamais revenir dans leur village. Parmi les survivants, certains ne reviennent pas non plus. Le village de Koutia, où vivent 95 familles, et très touché par ces départs soudains, aurait déjà perdu près de 130 hommes.
Les migrants viennent surtout de Koutia et des localités alentour, zones particulièrement touchées par la sécheresse. Toutefois, pour vivre, ces habitants ont besoin exclusivement de cultures, dont principalement de l’arachide, menacées par la sécheresse. Cela est une des raisons pour lesquelles les hommes ont décidé d’abandonner leurs terres. À Koutia, 200 hommes ont migré vers l’Europe.
Mohamed Diawara est un exemple de ces hommes qui ont décidé de partir pour gagner leur vie, comme le rapporte le New York Times. Même s’il était parvenu à acheter un moulin automatique, il ne parvenait plus à produire ni maïs, ni farine. En plus de cela, il tombait sans cesse en panne et coûtait très cher en carburant. S’occuper quotidiennement et seulement à deux des terres agricoles était également une rude et éprouvante tâche. Ayant réussi à économiser un peu d’argent, il préférait tout de même davantage l’utiliser pour partir en Italie, plutôt que de le dépenser dans la réparation de ses appareils. « Ça fait des années qu’on a du mal à joindre les deux bouts« , disait-il. Ainsi, il y a maintenant cinq ans, il a annoncé du jour au lendemain à sa femme, Khadijah Diagouraga, qu’il quittait son village. Durant cinq mois, elle n’a eu aucune nouvelle de son mari. « Je ne savais même pas s’il était en vie. Peut-être avait-il perdu son téléphone. J’avais entendu dire que les migrants se faisaient détrousser. Peut-être qu’il était mort en prison. Ou en mer« , explique-t-elle. Lorsqu’elle eut enfin de ses nouvelles, elle apprit qu’il avait traversé l’enfer afin d’atteindre l’Italie. Pour lui, le plus important était la réussite. Pour aider sa famille, Mohamed Diawara leur a envoyé l’équivalent de vingt euros et ne leur donne presque plus signe de vie depuis plus d’un an. À cause de la disparition de son mari, Khadijah Diagouraga est contrainte de s’atteler à toutes les tâches, y compris celles que faisait son mari, et mène une vie éprouvante comme beaucoup de femmes touchées par ce phénomène.
L’éprouvant quotidien des femmes abandonnées par leurs maris et les hommes
Cela fait maintenant plusieurs années que Khadijah Diagouraga est contrainte de s’occuper seule des champs d’arachides afin de subvenir au mieux aux besoins des treize membres de sa famille. Depuis que la pompe à eau du village est tombée en panne, elle est obligée d’atteler un âne à une carriole afin de récupérer de l’eau située aux alentours. Une tâche des plus éprouvantes, sachant que son mari a disparu et qu’elle n’obtient aucune aide. Ainsi, livrées à elles-mêmes, les femmes ont entrepris de s’atteler à tous les travaux, y compris ceux qui sont traditionnellement réservés aux hommes. Ayant rapidement compris que leurs maris ne leur viendraient pas suffisamment en aide financièrement, elle n’ont pas eu d’autres solutions que de gagner leur vie afin de subvenir au mieux aux besoins de leur famille. Pour remédier à cela, dans certains villages, les femmes s’unissent et ont largement repris le dessus. À Magali, par exemple, elles se regroupent pour jardiner, partagent les récoltes et se prêtent de l’argent. Safy Diakhaby est à la tête de ce groupe. Elle a également embauché une équipe d’hommes pour qu’ils puissent s’occuper des champs. Elle stocke des cacahuètes qu’elle vend ensuite. « Si nous ne nous serrons pas les coudes, nous souffrons toutes« , explique-t-elle. Pour d’autres, seuls quelques dons de leurs maris leur permettent de survivre.
Pourtant, les hommes partis pour l’Europe ne sont jamais certains d’y trouver du travail. En effet, leur salaire est souvent relativement bas. Cela ne leur permet donc pas de subvenir suffisamment à leurs besoins et ils vivent souvent dans de mauvaises conditions. Mohamed Diawara n’a d’ailleurs plus les moyens de rentrer chez lui.
Contraintes de s’atteler à toutes ces tâches, ces femmes sont également fortement critiquées et mal perçues par les autres membres du village, surtout des hommes. « Certaines femmes sont sous la coupe de leur beau-père, qui s’immisce dans leur vie tandis que leur fils est à l’étranger. Dans le village de Niaouli Tanoun, six hommes sont ainsi partis pour l’Europe, et leurs épouses se sont plaintes de leurs beaux-pères respectifs, qui les empêchaient de circuler librement, et plus encore de gagner de l’argent« , rapportent les journalistes du New York Times. « Il y a quelques hommes qui me regardent avec mépris. Je m’en moque. Ce qui compte pour moi, c’est de travailler dur« , explique Khadijah Diagoura. Le village de Koutia a d’ailleurs été profondément choqué d’apercevoir cette dernière en train de transporter un âne. « Conduire des animaux, c’est un travail d’homme. C’est un spectacle auquel j’aurais préféré ne jamais assister« , s’indigne Baba Diallo, un des anciens du village âgé de 70 ans. « Les femmes devraient vivre de la charité. Elles ne sont pas assez fortes« , estiment également d’autres du village.
Dans ces villages sénégalais, certains jeunes qui y vivent encore passent des heures à ne rien faire et n’aident absolument pas les femmes qui souffrent de leurs travaux. Ils ne rêvent que d’une chose : partir et refaire leur vie en Europe comme certains autres hommes de leur village. Un phénomène de migration qui, semble-t-il, ne s’arrêtera pas de sitôt.
Par Cécile Breton, le
Source: The New York Times
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