Le Groenland semble figé sous sa calotte blanche. Pourtant, à 250 km de profondeur, des poches de chaleur bouleversent notre vision du sous-sol. Et avec elles, nos calculs sur la montée des océans, que le GIEC devra peut-être réviser de fond en comble.

Une cartographie inédite dévoile des poches de chaleur sous le Groenland et remet en cause un vieux dogme géologique
Pendant longtemps, les scientifiques se sont appuyés sur des modèles globaux à résolution grossière pour estimer la température du sous-sol. Cependant, une nouvelle étude pilotée par l’Université d’Ottawa a changé la donne. Grâce à une modélisation thermique 3D à haute résolution, ils ont découvert des zones bien plus chaudes que prévu dans le sud et le centre-est du Groenland. Ces résultats sont issus d’une méthode d’inversion probabiliste croisant des données satellites et terrestres.
Mais pourquoi cette chaleur ? Le Groenland est passé, il y a des millions d’années, au-dessus d’un point chaud tectonique, celui de l’Islande. Par conséquent, la lithosphère y est plus fine, le manteau plus actif, et la dynamique thermique extrêmement contrastée. En clair, un sous-sol bien plus complexe que ce que les anciens modèles laissaient supposer.
La température du manteau influe sur la vitesse de déformation du sol après la fonte des glaces
La chaleur du manteau ne reste pas confinée : elle influence la manière dont la croûte terrestre se déforme. Plus le manteau est chaud, plus il devient malléable. C’est le principe de l’ajustement isostatique : après la fonte des glaces, le sol rebondit. Mais la vitesse de ce rebond dépend directement de la température.
De ce fait, les chercheurs ont observé que la viscosité du manteau varie fortement selon les régions — jusqu’à trois ordres de grandeur. Là où il fait chaud, le sol réagit rapidement. En revanche, là où c’est plus froid, il reste rigide. Or, les anciens modèles considéraient le Groenland comme un bloc uniforme et froid, ce qui fausse les prévisions.
Des mesures GPS révèlent que les modèles standards sous-estimaient largement les mouvements du socle groenlandais
Pour tester leurs modèles, les chercheurs les ont comparés aux données GPS mesurant les mouvements du sol. Résultat : les nouveaux modèles basés sur la température interne correspondent bien mieux à la réalité. En comparaison, les anciens sous-estimaient fortement la vitesse et l’ampleur des déformations mesurées, parfois au millimètre près.
Et là, on comprend que tout est lié. Si le sol bouge plus qu’on ne le pensait, alors la calotte glaciaire se déstabilise aussi. Cela entraîne une fonte plus rapide, ou plus chaotique. Et si cette glace libère ses eaux plus tôt que prévu, c’est le niveau des océans tout entier qui réagit, modifiant ainsi l’équilibre des zones côtières.
Intégrer ces nouvelles données géothermiques pourrait transformer nos prédictions sur la montée des mers
Quand les chercheurs intègrent ces données dans des simulations longue durée, les résultats sont frappants. Dans certaines zones, la différence de niveau marin simulé dépasse dix mètres selon qu’on utilise un modèle 3D ou un modèle simplifié. Dix mètres, c’est énorme.
Et pour les prévisions futures ? Même quelques centimètres de variation peuvent tout changer : un écosystème menacé, une ville rendue vulnérable. Ainsi, ces ajustements thermiques deviennent un paramètre critique pour affiner les modèles climatiques.
Autrement dit, le climat ne se joue pas seulement à la surface. Ce qui se passe à 250 kilomètres sous nos pieds, dans les profondeurs brûlantes du Groenland, pourrait bien contenir une clé oubliée du puzzle climatique mondial — une pièce maîtresse pour mieux anticiper les effets à long terme du réchauffement sur nos littoraux.
Par Gabrielle Andriamanjatoson, le
Source: Science & Vie
Étiquettes: Groenland, réchauffement des eaux
Catégories: Écologie, Actualités