Une défaite pour la nature et pour l’homme. La commission européenne a déposé son projet de règlementation relatif aux perturbateurs endocriniens. Un document qui fait la part belle aux exigences des lobbies. Ces agents chimiques (et parfois naturels) sont en effet responsables de perturbations hormonales et de graves maladies chez l’Homme. Retour sur un débat vieux de près de 20 ans.
Les perturbateurs endocriniens, une conséquence de notre mode de vie
Les perturbateurs endocriniens (PE) sont « des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants », selon la définition adoptée par l’OMS en 2002. Le terme avait été inventé par Theo Colborn, une zoologiste et épidémiologiste américaine. Ils sont aujourd’hui au coeur des débats. Ils auraient un rôle néfaste sur le système reproductif humain (baisse de la fertilité, fausses couches…), et favoriseraient fortement les risques de cancers et d’autres maladies graves.
Ces substances sont présentes dans de nombreux produits de la vie quotidienne. De nombreux produits sont susceptibles d’avoir un tel effet : on peut citer les hydrocarbures, le bisphénol A (qu’on retrouve dans la plupart des plastiques des emballages alimentaires, et même dans les biberons), les phtalates (omniprésents dans les matériaux de construction mais aussi dans les produits cosmétiques), et surtout les pesticides modernes (faisant ainsi peser un risque majeur sur l’homme par le biais de l’alimentation).
Autre motif d’inquiétude liée à leur présence dans un si grand nombre de produits : ils auraient un effet cocktail. À la différence de la plupart des produits toxiques, la dose ne jouerait pas le rôle principal. Même exposé à de faibles quantités, le croisement de plusieurs d’entre eux aurait des conséquences néfastes.
Des effets connus de longue date
Les effets les plus violents des PE sont observés sur les animaux. Parmi les épisodes les plus marquants : l’extinction des phoques en Mer du Nord (attribuée aux PE), la féminisation des poissons mâles de Grande-Bretagne vivant en aval des stations d’épuration ou encore la modification du système reproducteur des alligators de Floride. Peu à peu les soupçons s’étoffent et font craindre le pire pour la santé humaine. La plupart du temps, c’est le modèle agricole de l’après-guerre qui est mis en cause.
Les conséquences néfastes de l’agriculture productiviste sur le système endocrinien humain sont largement documentées par les chercheurs, et ce depuis les années 1950. On constate alors dans les pays industrialisés une baisse sensible de la fécondité masculine associée à une hausse du nombre de cancers liés (prostate, testicules…). En outre, on observe une puberté de plus en plus précoce chez les jeunes filles. La durée de l’enfance biologique a ainsi été réduite d’environ un an et demi en 30 ans aux États-Unis. Les perturbateurs endocriniens ont des effets différés . Ainsi en 2000, 24 ans après l’accident d’une usine d’herbicides en Italie, une étude a montré que les hommes exposés au nuage de dioxines ont eu deux fois plus de filles que de garçons. Pire, ceux-ci pourraient bien être transmis à la descendance.
Dans les années 1990 les craintes des chercheurs finissent par alerter l’opinion publique. En 1996, l’OCDE lance ainsi un programme de recherche pour analyser des milliers de produits afin d’y détecter les PE et d’étudier leurs effets. Au niveau national, des mesures sont prises. Les États-Unis lancent ainsi un grand programme de recherche en 2000, suivis par la France en 2005. La Commission Européenne s’empare quant à elle du sujet en 1999. Presque vingt an plus tard, le 4 juillet 2017 elle finit par faire adopter sa définition réglementaire des PE, première étape à une éventuelle interdiction.
L’influence des lobbys
Comment s’explique la lenteur du processus ? Il faut bien comprendre que différents lobbies concernés par un éventuelle interdiction ont freiné des quatre fers contre toute avancée significative. L‘Union Européenne est ainsi faite qu’elle est largement noyautée par ces représentants des grands intérêts financiers privés. Ainsi la capitale européenne, Bruxelles, compte plus de 30 000 lobbyistes. Un nombre suffisant pour peser sur les décisions des quelques 750 députés européens mais surtout celles des commissaires. Avec un certain succès : on ne compte plus le nombre de dirigeants européens ayant obtenu des postes avec des salaires mirobolants dans des grandes firmes sitôt leur mandat terminé.
Les puissants intérêts des firmes ont cherché à desserrer le périmètre d’application et la sévérité de cette réglementation. D’abord en gagnant du temps : la cour européenne de Justice elle même a condamné en 2015 la Commission pour le retard qu’elle avait mis à prendre en compte le risque. Il faut dire que la stratégie globale de lutte avait été enterrée à l’arrivée au sommet de l’exécutif européen de Jean Claude Junker en 2014. En outre, de nombreuses industries, comme celles des hydrocarbures ou des cosmétiques, ont réussi à tirer leur épingle du jeu et ne sont pas concernées par le texte.
La capitulation française
Finalement, le projet, dans les cartons de la commission depuis 2016, fait la part belle à ces acteurs privés. Le reproche principal des associations environnementales et des scientifiques concerne la classification des PE par leur niveau de dangerosité. Alors que pour les substances cancérigènes par exemple on distingue trois stades de danger « suspecté », « présumé » et « avéré », seuls les PE dont l’influence néfaste est avérée sont concernés. Ainsi trois sociétés savantes d’endocrinologie (la Société européenne d’endocrinologie, la Société européenne d’endocrinologie pédiatrique et l’Endocrine Society) préviennent que ces mesures « ne garantiront pas un haut niveau de protection en matière de santé et d’environnement ».
C’est pourquoi la Suède, le Danemark, et jusqu’à présent la France refusaient ce texte. Ségolène Royal, Ministre de l’écologie disait de ce texte qu’il était « inacceptable ». Mais le nouveau gouvernement français a fissuré ce front du refus. Le texte a donc été adopté sans être amendé dans le bon sens. Pire, sous la pression de la puissante Allemagne, une clause a été ajouté qui précise que les pesticides « conçus spécifiquement pour perturber les systèmes endocriniens des insectes ciblés » ne pourront être sortis du marché. Il s’agissait là d’une exigence de Bayer et BASF, les géants allemands des produits chimiques.
Avec une hypocrisie consommée, Nicolas Hulot, l’actuel ministre de l’écologie, s’est félicité de l’adoption du texte alors même que sa fondation le condamnait fermement. Il a en outre ajouté qu’en cas de danger avéré pour le consommateur, la France pourrait interdire unilatéralement certains pesticides. Ce qui est impossible en l’état actuel du droit européen, puisqu’il s’agirait d’une distorsion de la « concurrence libre et non faussée » au coeur du projet européen. Mais la bataille n’est pas encore terminée. D’une part les critères précis d’applications doivent être mis en place, d’autre part les eurodéputés n’ont pas encore voté le texte.
Par Tristan Castel, le
Source: Le Monde
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