Connaissez-vous le Nüshu ? Ce système d’écriture utilisé uniquement par des femmes dans la province de Hunan en chine a disparu en 2004. Les chercheurs tentent aujourd’hui d’en apprendre plus sur l’histoire de cet alphabet : Était-il un langage secret, créé pour tenir tête aux hommes dans cette société patriarcale où les femmes n’avaient aucun droit ?

LES CHERCHEURS PENSAIENT QU’IL S’AGISSAIT D’UN LANGAGE SECRET, DONT L’UNIQUE BUT ÉTAIT DE TENIR TÊTE AUX HOMMES

Découvert dans les années 80 par des linguistes, le Nüshu est un système d’écriture créé et utilisé uniquement par des femmes. Créé certainement au XVIIIe ou au XIXe siècle, les chercheurs pensèrent au début qu’il s’agissait d’un langage secret, dont l’unique but était de tenir tête aux hommes dans une société patriarcale où la femme se devait de suivre la loi des « trois obéissances » : le père, le mari et le fils.

Hélas, seul deux personnes savaient encore lire et écrire cette langue dont Yang Huanyi, décédée en 2004, à l’âge de 98 ans, emportant avec elle de nombreux secrets qui ne seront peut-être jamais révélés.

Région d’Hunan

QUE SAVONS-NOUS RÉELLEMENT DU NÜSHU ?

Ce que nous savons du Nüshu, nous le devons principalement à Cathy Silber, professeure à l’Université Skidmore de New York, qui travaille sur ce système depuis 1985 et ses découvertes nous ont permis d’apprendre non seulement le fonctionnement, mais aussi l’utilité de ces inscriptions. D’abord, contrairement à ce que l’on pensait au départ, le Nüshu n’est pas un langage secret, mais simplement la retranscription phonétique d’un dialecte de la région de Hunan, plus particulièrement du Comté de Jiangyong.

Ce système syllabique comprend près de 1000 symboles qui retranscrivent chacun un son du dialecte. Le Nüshu est donc beaucoup plus simple que le mandarin où l’on retranscrit les mots selon un système assez complexe. De plus, cette écriture était surnommée « l’écriture de moustique » en raison de ses formes fines, élégantes et allongées accompagnées de petits points précis.

Inscription en Nüshu sur un éventail

CES TEXTES ONT PERMIS AUX FEMMES DE MIEUX SE COMPRENDRE ELLES-MÊMES

S’il était lu, les hommes pouvaient donc comprendre ce qui était écrit, mais portaient assez peu d’intérêt à l’écriture. A cette époque, l’éducation était réservée aux hommes, et même lorsque les femmes ont pu accéder à ces informations à partir de la fin du XIXe siècle, seul les élites pouvaient se permettre d’apprendre à lire et à écrire. Dans cette région paysanne et reculée de la Chine, ces occupations étaient donc réservées aux femmes, comme la broderie. Justement, la majorité des inscriptions qui nous sont parvenues sont inscrites sur des tissus ou sur des éventails.

Car comme l’a appris Cathy Silber au cours de ses recherches, à leur mort, les femmes avaient pour coutume d’être enterrées avec leurs écrits emportant avec elles leurs paroles dans l’au-delà. La linguiste explique que pour elle,  » Ce qu’il y a de plus intéressant à découvrir est de voir comment ces textes ont permis aux femmes de mieux se comprendre elles-mêmes. Ce système d’écriture nous apprend beaucoup sur le lien existant entre la littérature et les différents groupes qui composent une société ».

QU’ÉCRIVAIT-ON EN NÜSHU ? 

Depuis 2012, on évalue qu’environ 500 textes écrits en Nüshu ont été découverts. Poèmes ou autobiographies romancées composent l’essentiel de cette littérature. Les poèmes sont principalement des conseils donnés entre femmes, que ce soit pour l’éducation des enfants ou pour le bien-être du foyer. Ces paroles de sagesse sont encore aujourd’hui chantées, la tradition orale a en effet permis à ces paroles ancestrales de résister à l’épreuve du temps.

Les biographies quant à elles, racontent le quotidien de femmes à travers cette période. Cependant, l’aspect romancé apporte quelque chose d’unique et d’essentiel et de profondément humain, donnant une importance particulière à ces femmes oubliées de l’histoire. Il existe également de nombreuses traces de « Lettres du troisième jour », offertes aux femmes qui venaient de se marier contenant des prières, des félicitations de la famille ou de personnes proches.

LA PLACE DES FEMMES EN CHINE

Jusqu’au milieu du XXe siècle, les femmes étaient quasiment absente de l’échelle sociale. Comme évoqué plus tôt, elles n’étaient définies que par leur père, leur mari ou leur fils. De plus, de nombreuses coutumes humiliantes ou violentes étaient mises en pratique. La plus connue étant certainement celle des pieds bandés qui consistait à mettre des bandes autour des pieds des jeunes filles dès l’âge de 5 ans, atrophiant à la longue leur extrémité.

L’objectif étant de limiter leur mouvement et les réduisant ainsi à des tâches domestiques limitées. Cette pratique, initialement réservée à l’élite et aux familles les plus hautes dans l’échelle sociale, s’est petit à petit répandue à travers les siècles à tout le pays jusqu’à être interdite en 1949.

Ainsi, un texte Nüshu parle d’une femme qui est forcée d’épouser un homme qu’elle ne connait pas et qui finit par s’enfuir le soir de la nuit de noce, en découvrant à quel point son mari est laid. Un autre raconte l’histoire d’une femme si impatiente d’épouser un homme qu’elle décide d’aller lui demander pourquoi il n’a pas encore fait sa demande.

PARMI LES MILLIERS DE SYSTÈME D’ÉCRITURE RÉSERVÉ AUX HOMMES, NOUS AVONS LÀ UN EXEMPLE DONT NOUS SOMMES SÛRS QU’IL A TOUJOURS ÉTÉ RÉSERVÉ QU’AUX FEMMES

Cependant, la majorité des écrits sont empreints de tristesse et de résignation. Il révèle également la solidarité existant au sein de cette communauté féminine, dans laquelle certaines passaient des pactes, les liant éternellement à travers leurs écrits, sous la forme de poèmes. C’est pourquoi, certaines étaient enterrées avec leurs textes afin de recréer ce lien après leur mort. Une chose est sûr, dans la Chine patriarcale, l’écriture était une forme d’expression et d’émancipation pour les femmes soumises.

ORIGINE ET DISPARITION DU NÜSHU

L’origine exacte du Nüshu est aujourd’hui inconnue, et les chercheurs proposent de nombreuses théories pour expliquer l’apparition de ce système d’écriture. Alors que certaines trouvent des similitudes avec d’autres écritures du sud de la Chine, d’autres y voient des explications plus mystiques comme des inscriptions trouvées sur des ossements d’oracles. Une légende raconte même que cette écriture aurait été inventée au 11e siècle par la concubine d’un empereur qui racontait ses malheurs à sa famille restée à la campagne.

LA PRATIQUE DE CETTE ÉCRITURE SE TRANSMETTAIT DE MÈRE EN FILLE

Cependant, l’explication la plus courante, et le plus populaire, consiste tout simplement à expliquer que les femmes de la région ont inventées elle-mêmes cet alphabet en réponse à l’interdiction pour le sexe féminin de pouvoir apprendre à écrire. Cathy Silber explique que même si les facteurs d’origines peuvent être divers, « je dirai que l’émergence de ce genre de phénomènes est courant dans les sociétés où une ségrégation sexuelle existe. »

La pratique de cette écriture se transmettait de mère en fille mais a fini par disparaître avec le temps, la principale cause est la révolution chinoise de 1949. Les nouvelles lois liées au mariage et les réformes sociales donnèrent de plus en plus de droits aux femmes, rendant inutile l’utilisation d’un système leur étant uniquement réservé. Plus tard, lors de la révolution culturelle communiste, les autodafés se multiplièrent à travers le pays et de très nombreux ouvrages écrits en Nüshu ont été brûlés ou détruits.

Des élèves du centre Nu Shu Garden. Province d’Hunan, Chine. Juillet 2005.

Aujourd’hui, des écoles de la région tentent de raviver cette tradition en enseignant le Nüshu à l’école, rendant ainsi cette pratique mixte, pour la première fois de son histoire. Les chercheurs tentent également de compléter l’alphabet afin de découvrir l’ensemble des secrets que contiennent les textes existants dans cette langue. Cependant, cette littérature restera unique pour une raison bien précise. Comme le raconte Cathy Silber, « Parmi les milliers de système d’écriture particulièrement réservés aux hommes, nous avons là un exemple dont nous sommes sûrs qu’il a toujours été réservé qu’aux femmes ».

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