Dans ses premiers pas, le jeu vidéo ne permettait pas aux concepteurs liberté sans limites comme cela peut être le cas aujourd’hui. Une frustration qui a pourtant forcé les développeurs à penser au design et au gameplay différemment. Voici des exemples de jeux qui ont transformé une faiblesse technique en une composante bénéfique pour le jeu.

Space Invaders – La courbe de difficulté

La courbe de difficulté d’un jeu est un élément capital pour le plaisir du joueur. On joue avant tout pour s’amuser et pour cela, il faut des défis dignes d’être relevés. Les gens trop faciles ne sont jamais amusants bien longtemps et les trop difficiles à maitriser peuvent rebuter beaucoup de joueurs. C’est donc un équilibre qui doit être étudié avec précision pour chaque jeu. L’idée même d’une courbe de difficulté est venue du mythique Space Invaders. Et c’était un accident. Explications.

Lors du développement du jeu, l’idée était d’ajouter de plus en plus d’ennemis au fur et à mesure que le jeu progressait. À cause des limitations des bornes d’arcade, ajouter une grande quantité d’ennemis faisait ralentir l’intégralité du jeu, et les ennemis avançaient maintenant à moindre vitesse. Le designer du jeu, Tomohiro Nishikado, en voyant cela, a compris que la vitesse de l’ennemi était un moyen de contrôler la difficulté du jeu. Si un ennemi est lent, il sera facile à tuer. S’il est rapide, il le sera beaucoup moins. C’est devenu une mécanique intégrée au jeu et ce fut le premier jeu vidéo à proposer une difficulté accrue au fur et à mesure que le jeu avance. En somme, le jeu vidéo en général doit énormément à Space Invaders et son créateur, car ils ont intégré une réelle courbe de difficulté au gameplay des jeux.

Silent Hill – Le brouillard

Si l’on vous demande de penser à la ville de Silent Hill sur PlayStation et de me décrire votre environnement, vous répondez : « Il y a du brouillard partout. » En effet, générer une ville à l’époque de la PS1 demandait bien trop de ressources, et la mise en place d’un brouillard ambiant règle le problème, car vous n’avez plus la possibilité de voir les structures au second ou troisième plan. Non seulement cela règle le problème, mais cela améliore considérablement le jeu si ce dernier essaye de vous donner des sueurs froides. Pas facile de rendre un jeu angoissant à l’époque de la PS1. Et il est important de faire la différence entre les surprises terrifiantes de Resident Evil et le malaise de Silent Hill.

C’est vraiment avec ce jeu que l’on réalise alors qu’il est possible de jouer avec l’horreur psychologique, et non simplement de provoquer des sursauts. Faire venir un monstre lentement depuis le brouillard est bien plus terrifiant qu’un mort-vivant vous sautant dessus depuis un balcon. Pour pousser le vice un peu plus loin, le jeu nous donne une radio semi-fonctionnelle qui émet des bruits lorsqu’un ennemi approche. Vous pouvez vous dire que cela va vous rassurer, vous pourrez ainsi vous préparer aux monstres. Mais la radio ne vous dit pas d’où les créatures vont venir. Au milieu du brouillard, la ville invisible passé les trois mètres autour de vous, et ce bruit inquiétant qui sort de votre radio. Quelque chose approche. De quel côté est-ce que ça va surgir ? Bienvenue dans le monde paranoïaque de Silent Hill. Et tout ça grâce aux limitations de la PlayStation.

Metal Gear – L’infiltration

À la base pensé comme un jeu avec beaucoup de phases de combat, le concept fut entièrement repensé lorsque Hideo Kojima réalise qu’il ne serait pas possible d’afficher plus de trois soldats à l’écran. Quand on voit ce qu’est devenue la série aujourd’hui, on se rend compte du chemin parcouru… Fusillades en pagaille exclues, Hideo Kojima décide que son héros sera un maître de l’infiltration et que le joueur devra au contraire tout faire pour éviter la confrontation. Une sorte de James Bond pour le jeu vidéo. C’est le début des jeux d’infiltration.

Heureusement que la MSX ne pouvait pas afficher plus de soldats que ça ! On n’aurait sans doute jamais connu la génialissime série des Metal Gear Solid, mais on n’aurait aussi jamais eu droit à d’autres franchises de l’infiltration comme Tenchu ou Splinter Cell. L’idée de la furtivité n’a pas été assez pour être directement intégrée au jeu. Hideo Kojima a dû en effet batailler avec ses supérieurs pour les convaincre que c’était la bonne direction à prendre et que le jeu proposerait quelque chose d’unique. L’héritage de Metal Gear aurait donc très bien pu ne jamais exister sans ces restrictions techniques et la conviction de son créateur qu’il tenait là une idée en or.

Prince of Persia – Un double du héros

Au moment de créer un ennemi dans le premier épisode de Prince of Persia, les créateurs du jeu se rendent compte qu’il n’y a plus de place disponible pour ajouter un nouveau personnage. Ce n’est pas pour rien que l’animation des personnages du jeu (lors des sauts, des attaques, etc.) a fait sa réputation : elle prenait beaucoup de place. Plutôt que d’ignorer le problème en se contentant de ne pas rajouter d’ennemis, l’équipe trouve une solution très originale : un miroir magique fera apparaitre un double du héros, partageant donc toutes ses animations.

C’est une solution très intelligente et l’un des éléments les plus marquants du jeu, participant au lancement de la série et de sa popularité. L’apparition de ce mystérieux double colle parfaitement à l’univers mystique de Prince of Persia et met en avant son folklore. De là, de nombreux jeux ont proposé des combats avec des doubles mémorables. Zelda et Mario en tête.

Resident Evil – Des animations pendant les temps de chargement

L’apparition des CD avec la PlayStation a révolutionné la façon dont les développeurs pouvaient construire un jeu. Le seul inconvénient à cette masse de données : les temps de chargement. Plutôt que de laisser des écrans noirs pendant plusieurs secondes, Capcom décide d’intégrer ces séquences en tant qu’éléments du jeu. À chaque changement de pièce nécessitant un temps de chargement, le jeu montre l’animation d’une porte qui s’ouvre. Facile, mais brillant. Ce simple procédé permet la continuité de l’immersion.

Un an plus tard, Final Fantasy VII utilise le même procédé. Pas question de portes qui s’ouvrent, mais rappelez-vous qu’avant que chaque combat commence, le joueur voit l’écran se distordre dans une animation en spirale pendant deux à trois secondes. C’est toujours mieux qu’un écran noir ou l’on se demande si le jeu vient de nous lâcher !

Zelda Majora’s Mask – Un univers parallèle

Après le succès phénoménal d’Ocarina of Time, Nintendo met tout en oeuvre pour sortir le plus vite possible un deuxième Zelda sur N64. Sauf que le développement d’Ocarina of Time a pris quatre ans. Et si Majora’s Mask prend autant de temps, la GameCube sera déjà là. C’est ce problème qui va engendrer l’épisode le plus particulier de la saga. Alors, que fut la solution ? Réutiliser toutes les textures et tous les modèles qu’utilisait Ocarina of Time, changer les couleurs, modifier quelques détails et expliquer tout cela par l’existence d’un univers parallèle à l’univers d’Hyrule. Ainsi fut créé Termina.

Ce qui est intéressant dans cette idée, c’est de ne pas se cacher d’avoir réutilisé le travail d’Ocarina of Time, mais de s’en servir comme d’une arme pour faire du prochain jeu quelque chose d’inoubliable et qui colle à l’histoire de Zelda (la dualité de deux dimensions existe déjà dans A Link to the Past). Mission réussie puisque Majora’s Mask sort un an avant la GameCube. Se débarrasser d’Hyrule le temps d’un jeu a réellement autoriser l’équipe de Nintendo à en faire un jeu unique. Pas de princesse et pas de Ganon. À la place, des masques magiques plus surprenants les uns que les autres et un antagoniste devenu légendaire : Skull Kid. Tout ça sous le regard terrifiant de la Lune venue détruire Termina.

Donkey Kong – Le design de Mario

On termine avec celui à qui le jeu vidéo doit énormément : Mario. Ou plutôt, Jumpman. Il ne serait pas exagéré de dire qu’il est l’un des personnages les plus reconnaissables au monde à travers tous les arts et médias. Pourtant, son design cache un secret. Lorsque Shigeru Miyamoto commence à travailler sur le personnage, il réalise rapidement que les capacités graphiques de l’époque ne lui donnent pas la possibilité de donner des détails précis à Jumpman.

Plutôt que de s’acharner à vouloir trouver un moyen de lui donner une bouche ou des yeux particuliers, Shigeru Miyamoto contourne le problème et rajoute des éléments qui permettront de le reconnaitre et de le mettre à part de tous les autres personnages : une moustache, un gros nez, une casquette. Il aura également le droit d’avoir deux couleurs, du rouge et du bleu. Chose rare pour un personnage de l’époque (nous sommes alors en 1981). C’est assez fou de se dire que le personnage du jeu vidéo le plus reconnaissable au monde doit le succès de son design à une limitation technique et graphique.

On espère que ces exemples vous feront repenser les limitations techniques de vos consoles d’une autre manière ! Des choses merveilleuses ont pu voir le jour grâce à cela : de mécaniques aujourd’hui considérées comme essentielles au développement de pans entiers du jeu vidéo. Certains de ces jeux auraient eu une courte vie si ces idées novatrices n’avaient pas été intégrées. Regrettez-vous l’époque de ces limitations techniques qui poussaient les développeurs à avoir des idées aussi géniales ou préférez-vous les superbes graphismes d’aujourd’hui ?

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