Les sacrifices humains font partie des coutumes les plus connues du peuple Inca. Cependant, il y a encore beaucoup de choses à apprendre sur cette tradition. Des analyses réalisées sur des momies particulièrement bien préservées ont permis d’apprendre que les enfants choisis pour être sacrifiés étaient exposés à de fortes doses de drogues et d’alcool avant leur mort.
LES ENFANTS DU LLULLAILLACO
Ce n’est pas souvent que les archéologues ont l’opportunité de découvrir des momies aussi bien préservées que celles des Enfants du Llullaillaco. Ces jeunes incas, deux filles et un garçons âgés de 6 à 14 ans, ont été retrouvés en 1999 près du sommet du volcan haut de 6 739 mètres, situé dans la partie argentine de la Cordillère des Andes.
Si on sait, grâce aux récits qu’ont fait les Conquistadores des rituels incas, beaucoup de choses sur les us et coutumes des Incas, les traditions restent encore mystérieuses. Pour remédier à cela, une étude, conduite par Andrew Wilson, expert légiste et archéologique de l’Université de Bradford (Royaume-Uni), a été réalisée sur les cheveux de ces trois momies. Celles-ci ont été retrouvées dans un tel état de préservation qu’il a été possible de procéder à des analyses biochimiques.
« Sur l’ensemble des momies qui ont été découvertes dans le monde à ce jour, celle-ci doit être la mieux conservée de toutes celles que je connais. On dirait presque qu’elle vient de s’endormir » , explique Andrew Wilson.
Ces trois enfants n’étaient pas de simples enfants incas : ils avaient été choisi pour servir de sacrifice humain lors du rituel de la capacocha. Cette cérémonie religieuse avait, selon certains experts, également une facette politique puisque ceux-ci estiment que la capacocha servait, en plus des connotations religieuses, à inspirer la peur dans les différentes régions de l’Empire inca.
Les enfants sont morts il y a à peu près 500 ans, laissés en tant que sacrifices dans des alcôves préparées spécialement, à proximité du sommet du volcan. Les momies sont depuis conservées dans le musée d’archéologie de haute montagne (MAAM) de Salta, en Argentine, dans des cloches protectrices où la température est constante à -20 °C. L’état de préservation est tel que les corps sont encore hydratés à 70 %, ce qui, pour certains, ne permet pas d’utiliser le terme de « momies » , étant donné qu’ils ne sont pas desséchés.
« Je suppose que c’est ce qui fait d’autant plus froid dans le dos. Il ne s’agit pas ici d’une momie en lambeaux ou d’un tas d’ossements. C’est une personne ; c’est un enfant. Et ces données que nous avons produites dans nos études fournissent des indices poignants sur les derniers mois et années de son existence« , admet Andrew Wilson.
LES CHEVEUX PARLENT
Depuis cette découverte du 26 février 1999, les chercheurs ont essayé de percer les secrets de la mort de ces jeunes enfants ainsi que le déroulé de leurs derniers mois avant le sacrifice. En 2013, ils ont enfin percé l’un des mystères entourant ces trois enfants et le rituel. Les chercheurs ont par ailleurs dû faire face à quelques obstacles de taille, puisque les autorité exigent que ceux-ci maintiennent l’intégrité des dépouilles. Avec une telle consigne, les analyses peuvent se révéler ardues à entreprendre sans endommager le corps des enfants du Llullaillaco.
« LES MARQUEURS MONTRENT QU’ELLE SEMBLE AVOIR ÉTÉ CHOISIE POUR ÊTRE SACRIFIÉE UN AN AVANT SA MORT » – ANDREW WILSON
Dès 2007, les chercheurs avaient notamment appris que le régime alimentaire de la jeune fille avait brusquement changé à peu près un an avant sa mort, ce qui marquerait ainsi la date à laquelle elle avait été choisie en tant que sacrifice. Des traces de drogues avaient déjà été décelées à ce moment-là.
La décision a alors été prise de se tourner vers une analyse des cheveux de ces momies, qui étaient dans un incroyable état de préservation grâce aux températures glaciales du sommet du volcan ainsi qu’au manque d’humidité lié à une telle altitude.
Les tresses de l’aînée du trio, surnommée la « demoiselle du Llullaillaco » ont alors été examinées avec une attention toute particulière. Ces tresses présentaient un très grand intérêt puisqu’il est estimé qu’elles ont mis approximativement deux ans pour atteindre cette longueur. Or l’examen biochimique des cheveux d’une personne, lorsque celle-ci est encore vivante ou dans un état de conservation quasi-parfait, permet d’en apprendre beaucoup sur les habitudes alimentaires de cette personne, et par exemple déceler si elle consommait ou non diverses drogues.
Avec l’analyse des cheveux, les résultats se sont révélés beaucoup plus complets. En effet, les chercheurs ont pu apprendre que les trois enfants avaient ingéré des substances psychotropes pendant l’année qui a précédé leur mort, à partir de la date de leur sélection en tant que sacrifice.
« Les marqueurs montrent qu’elle semble avoir été choisie pour être sacrifiée un an avant sa mort. Nous pensons que la jeune fille était l’une des aclla-cuna (« femmes choisies » en Quechua), autrement dit les Vierges du soleil qui sont sélectionnées au moment de la puberté pour vivre à l’écart de leur société sous la surveillance de prêtresses« , ajoute Andrew Wilson.
LA DROGUE COMME SÉDATIF
Selon les analyses, la consommation de feuilles de coca a visiblement augmenté six mois avant la mort de la demoiselle. Pendant les six mois restants, elle n’a ainsi pas arrêté d’en consommer. Les radiographies ont même révélé la présence de feuilles de coca dans la bouche de la défunte. La consommation d’alcool de la jeune fille, de la chicha (bière fermentée à partir de maïs) plus précisément, n’a quant à elle cessé d’augmenter jusqu’à son décès.
« Il s’agit probablement des six à huit dernières semaines, qui révèlent cet état très perturbé et pendant lesquelles elle a pu se montrer docile ou être forcée à ingérer cette forte quantité d’alcool. Dans les dernières semaines, elle a certainement basculé encore dans un état différent, où ces substances chimiques, la coca et l’alcool de chicha, pourraient avoir été utilisées presque comme un moyen de contrôle dans la période précédant l’aboutissement de ce rite capacocha et son sacrifice » .
« IL S’AGIT DES SIX À HUIT DERNIÈRES SEMAINES PENDANT LESQUELLES ELLE A PU SE MONTRER DOCILE OU ÊTRE FORCÉE À INGÉRER CETTE FORTE QUANTITÉ D’ALCOOL. »
Les analyses ont également montré que les deux autres enfants, plus jeunes, avaient également consommé ces deux substances, mais dans des quantités beaucoup moins importantes que pour la « Demoiselle » .
Ces analyses viennent donc prouver un fait que les scientifiques avaient longtemps supposé. Mais le mystère n’est pas totalement éclairci : on ne sait pas encore dans quel but précis ces drogues étaient utilisées ou encore comment cette consommation intense avait pu affecter les enfants.
Cependant les causes exactes de la mort de ces enfants n’ont pas encore été établies. Il se pourrait par exemple qu’ils aient été tués par étranglement ou empoisonnement puis placés dans les alcôves rituelles dans lesquelles ils ont été retrouvés 500 ans plus tard. Il faudra attendre de nouvelles analyses pour en apprendre davantage.
UN RITUEL CAUTIONNÉ PAR L’EMPIRE
Pour Kelly Knudson, chimiste et archéologue à l’Université de l’Arizona, cette étude montre comment les sciences vont pouvoir aider les chercheurs à mieux comprendre les coutumes ancestrales de certaines civilisations.
L’archéologue, qui n’a pas participé à cette étude, suggère que le rituel de la capacocha était instigué dans les plus hautes sphères de l’Empire inca : « L’augmentation de la consommation d’alcool et de coca est très intéressante pour comprendre aussi bien les sacrifices de la capacocha et la vie qu’ont mené les enfants avant de mourir, que la pression et le contrôle exercés par les Incas » .
Selon elle, il fallait une logistique fiable pour entreprendre des expéditions dans un lieu aussi peu accueillant que le volcan Llullaillaco. Encore aujourd’hui, il faut être bien préparé et équipé pour s’atteler à l’escalade d’un tel sommet.
Andrew Wilson partage la même vision. Pour lui, c’est un signe évident que l’Empire inca soutenait ce genre de rituels : « Travailler à cette altitude nécessite, même aujourd’hui, un appui logistique considérable. Et nous sommes en train de parler de preuves qui laissent à penser que l’appui reçu provenait du plus haut niveau de l’empire. On trouve ici des objets et des vêtements qui sont des produits nobles et raffinés issus des quatre coins de l’Empire Inca » .