Depuis un an, près de 300 contractuels de la société Wipro Technologies, en Inde, étiquettent vos contenus sur Facebook. Ils décortiquent vos photos et statuts, publics ou privés, publiés depuis 2014. Selon l’entreprise de Mark Zuckerberg, ce n’est pas une atteinte à la vie privée. Facebook voudrait seulement améliorer l’expérience utilisateur. Pourtant, cette pratique ne respecte pas la loi RGPD de l’Union européenne.
FACEBOOK ANALYSE LES CONTENUS DE SES UTILISATEURS
C’est dans la ville d’Hyderabad, en Inde, que cette équipe de 260 contractuels travaille pour la société Wipro Technologies. Leur mission est de fouiller les millions de photos publiées sur Facebook depuis 2014. Mais aussi les mises à jour de statut, événements marquants, etc.
Puis, ils doivent les classer selon cinq « dimensions », comme les appelle Facebook. Ainsi, ils doivent déterminer le sujet : nourriture, selfie, animal, etc. Mais aussi l’occasion, c’est-à-dire une activité quotidienne ou un événement majeur de la vie. Et enfin, ils doivent préciser l’intention de l’auteur : planifier un événement, inspirer les autres ou faire une blague.
L’objectif pour Facebook est de dégager des tendances dans les comportements des utilisateurs. Ainsi, la société de Mark Zuckerberg peut se lancer dans le développement de nouvelles fonctionnalités. Et bien sûr, augmenter l’utilisation des membres et donc, ses revenus publicitaires.
Cette équipe de près de 300 contractuels à Wipro n’est qu’une infime partie des 200 projets d’étiquetage de Facebook. Ainsi, ce sont des milliers de personnes, à travers le monde, qui ont accès à nos contenus et données personnelles. Parmi ces différents projets, nombreux sont destinés à former l’intelligence artificielle du réseau social.
Ce vaste programme d’étiquetage des contenus soulève des questions sur la protection de la vie privée sur Facebook. Une polémique parmi tant d’autres, puisque la société fait déjà l’objet d’enquêtes réglementaires dans le monde entier. Celles-ci concernent majoritairement le partage des données des utilisateurs avec des partenaires commerciaux.
QUID DU RGPD ET DE LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE ?
Les contractuels de Wipro reconnaissent qu’ils ont une fenêtre sur la vie des utilisateurs de Facebook. Par exemple, ils peuvent voir des photos de vacances ou lire des messages de commémoration d’une famille pour un membre décédé. De plus, Facebook a reconnu que certains éléments peuvent laisser apparaître des noms d’utilisateurs.
Toutefois, l’entreprise de Mark Zuckerberg dispose d’équipes juridiques et de « protection de la vie privée » pour approuver les étiquetages. Un système de vérification serait en place « pour s’assurer que les attentes en matière de protection de la vie privée sont respectées ».
Un ancien responsable de Facebook s’est dit mal à l’aise que le contenu des utilisateurs de la plateforme soit examiné sans leur permission explicite. De plus, le RGPD (Règlement général sur la protection des données) européen contient des règles strictes concernant la collecte et l’utilisation des données personnelles par les entreprises. Dans de nombreux cas, ces actions nécessitent un consentement spécifique.
Selon John Kennedy, associé du cabinet d’avocats Wiggin and Dana, « si le but est d’examiner les missions pour améliorer la précision des services, cela devrait être énoncé explicitement ». Il ajoute que « le recours à un prestataire externe pour ce travail pourrait également nécessiter un consentement ». Une porte-parole de Facebook rappelle alors que la politique sur les données de l’entreprise est clairement énoncée.
« Nous indiquons clairement dans notre politique sur les données que nous utilisons les renseignements que les gens fournissent à Facebook pour améliorer leur expérience et que nous pourrions travailler avec des fournisseurs de services pour les aider dans ce processus. » Toutefois, la politique de Facebook en matière de données ne mentionne pas explicitement l’analyse manuelle.
LES PHOTOS PRIVÉES SONT ÉGALEMENT EXAMINÉES
Le projet de Facebook a été lancé avec Wipro en avril 2018. Le contrat s’élève à 4 millions de dollars, pour une équipe initiale de 260 contractuels. Le travail consistait au départ à analyser le contenu des cinq dernières années. Puis, l’équipe a été réduite à une trentaine de membres au mois de décembre. Depuis, les travailleurs étiquettent chaque mois les photos et statuts du mois précédent.
Cependant, les éléments analysés ne sont pas exhaustifs. En effet, il s’agit d’un échantillon aléatoire de textes, liens, événements, vidéos, photos, etc. Et ils proviennent d’utilisateurs de Facebook, mais aussi d’Instagram (propriété du groupe), dans le monde entier. Chaque élément est vérifié par trois employés différents. Ainsi, les contractuels de Wipro estiment traiter 700 éléments par jour.
Parmi les autres projets d’étiquetage de Facebook, un travailleur de l’entreprise Cognizant à Hyderabad, a déclaré qu’avec 500 collègues, ils cherchent des sujets sensibles ou un langage profane dans les vidéos Facebook. Selon l’entreprise, l’objectif de ce travail est de former un outil automatisé pour permettre aux annonceurs d’éviter de sponsoriser des vidéos inadaptées en raison de leur contenu.
Toutefois, quelles que soient les intentions de la société de Mark Zuckerberg, les utilisateurs ne peuvent pas refuser que leurs données soient étiquetées. De plus, les éléments examinés ne comprennent pas seulement les informations diffusées publiquement. Ainsi, les textes ou photos privées sont également analysés par des employés.
Selon Karen Courington, directrice des opérations de support produit chez Facebook, « cela permet de s’assurer que l’échantillon reflète l’éventail des activités sur Facebook et Instagram ».
Par Christelle Perret, le
Source: Reuters
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