À Conimbriga, un petit encrier en bronze a révélé une encre d’une complexité chimique inattendue. Ce concentré de savoir-faire antique, conservé pendant deux millénaires, rebat les cartes de l’histoire de l’écrit dans l’Empire romain.

Un objet technique raffiné qui révèle la présence d’élites cultivées dans une province périphérique
Découvert en 2022 à Conimbriga, au cœur du Portugal, cet encrier romain de type Biebrich, daté du Ier siècle, n’est pas un simple accessoire d’écriture. Il est fabriqué en bronze avec un alliage maîtrisé (cuivre, étain, plomb) et façonné au tour avec précision. Il témoigne donc d’une diffusion des techniques sophistiquées de métallurgie dans les provinces de l’Empire.
Trouvé dans un remblais lié à la destruction d’un amphithéâtre, il aurait appartenu à une figure importante : architecte, géomètre ou administrateur. C’est un objet fonctionnel, mais aussi un marqueur de statut social. Sa présence à Conimbriga prouve l’intégration économique et culturelle de cette cité dans les réseaux impériaux. Loin d’être un cul-de-sac de civilisation, ce site illustre la mobilité des élites et des savoirs.

Une formulation d’encre « mixte » révélée par des résidus miraculeusement conservés
L’encrier contenait encore des traces d’encre. C’est une rareté absolue. Grâce à des analyses chimiques de pointe (Py-GC/MS, RMN, FTIR, XRF, Raman), les chercheurs ont identifié un mélange complexe de noir de carbone, noir d’os, éléments ferro-galliques et liants organiques.
Le noir de carbone provenait de résineux brûlés à haute température. Le noir d’os, issu de matières animales calcinées, renforçait quant à lui la densité et la fluidité. La vraie surprise ? La présence d’éléments typiques des encres ferro-galliques, à base de tanins et de fer, réputées plus tardives. Cela suggère que les Romains utilisaient déjà des encres très élaborées dès le Ier siècle.
Cire d’abeille et graisses animales complétaient la formule. Elles jouaient un rôle de stabilisants et d’adhésifs. Ainsi, on avait conçu une recette pensée pour résister à l’humidité, au transport et à l’usage prolongé.
Une chimie empirique fine au service de l’administration romaine
Chaque ingrédient de cette encre antique avait un rôle précis. Le noir de carbone assurait la couleur intense. Le noir d’os améliorait la texture et l’opacité, tandis que les agents ferro-galliques garantissaient la résistance à l’eau et à l’usure.
Cette encre était conçue pour différents supports, papyrus, parchemin, et pour des documents destinés à voyager ou à durer. Les liants organiques permettaient une application fluide et homogène. Une fois secs, ils formaient un film protecteur, comparable à un vernis microscopique.
Ce niveau de complexité prouve que l’écriture n’était pas seulement un acte culturel. Elle constituait aussi une technologie maîtrisée, répondant à des normes de performance précises.

Un petit objet, une grande leçon : les provinces romaines maîtrisaient l’innovation
Le cas de l’encrier de Conimbriga démontre que les provinces dites périphériques n’étaient pas à la traîne. Elles participaient activement à l’innovation technique. Cet objet témoigne d’une circulation des matériaux, des artisans et des idées, à l’échelle impériale.
Cela oblige à revoir l’image d’une Rome centralisée face à une périphérie passive. Ici, la preuve matérielle parle d’un monde connecté, où l’expertise circulait aussi bien que les légions ou les marchandises. L’encre qui a coulé dans cet encrier n’était pas banale. Elle matérialisait l’efficacité administrative et la pensée écrite de l’Empire.
Par Eric Rafidiarimanana, le