Il y a souvent de petites histoires qui font la grande. C’est le cas de cette mystérieuse jeune femme du XIXe restée dans l’Histoire, en tant que mannequin de secourisme. Découvrez le parcours de cette anonyme qui a sauvé bien des vies.
Paris, XIXe siècle. Au coeur de la capitale, les rues pavées sont dangereuses. Les bâtiments trop hauts plongent la ville dans une obscurité macabre et rendent les immeubles insalubres. De nombreux « bidonvilles » parsèment Paris à l’instar de Ménilmontant. Des baraques et des masures peuplent des ruelles recouvertes de boue et de fumier. Paris vit plusieurs épidémies de choléra, en 1832 et en 1849, ôtant la vie à des milliers de personnes. Au milieu de ce lieu malade, imaginez l’île de la Cité.
L’île de la Cité accueille alors la morgue parisienne, endroit paradoxalement plein de vie. Des centaines de gens y défilent chaque jour pour admirer un sinistre spectacle. Les tables inclinées de marbre noir, séparées du public par une vitre, s’alignent. Les cadavres non identifiés ramassés sur la voie publique ou dans la Seine sont exposés. Avec l’espoir que quelqu’un les reconnaîtra. Dans les années 1880, le corps inerte d’une femme retrouvée dans le fleuve parisien s’aligne à côté d’autres.
La jeune femme ne porte aucune marque de violence. Le médecin légiste de l’époque opte pour le suicide comme conclusion. Fasciné par la beauté et le sourire énigmatique de la jeune femme, un employé de la morgue réalise un masque mortuaire. Un masque mortuaire est un masque moulé sur le visage d’une personne récemment décédée. L’objet permet la conservation d’un portrait fidèle en trois dimensions au-delà du court laps de temps qui laisse le cadavre intact. L’employé décide alors de les vendre.
La jeune femme est alors surnommée l’Inconnue de la Seine. Hélène Pinet, conservatrice au musée Rodin, explique qu’« au fil des ans une dimension mythique et esthétique (…) l’a transformée en objet de décoration et de fantasmes ». De nombreuses spéculations sur sa vie, sa mort et sa place dans la société sont formulées à partir de l’expression heureuse du visage de l’Inconnue. Le masque devient un ornement populaire sur les murs des maisons d’artistes après 1900. A partir de la fin du XIXe siècle, l’image se diffuse dans toute l’Europe et impressionne de nombreux artistes.
Dès le début du XXe siècle, les écrivains s’empreignent de la légende. En 1926, l’écrivain allemand Ernst Benkard écrit de l’Inconnue : « (elle) apparaît comme un papillon délicat, qui, insouciant et euphorique, a volé droit vers la lampe de la vie, allant y brûler ses ailes délicates. » Louis-Ferdinand Céline ajoute la photo de l’Inconnue à son edition de la pièce L’Eglise. En 1944, Aragon, dans son roman Aurélien, met en scène Aurélien, un jeune homme qui possède chez lui le masque de l’Inconnue. Il confondra le masque avec le visage de Bérénice, la femme dont il tombe amoureux ; femme qui plus tard lui fera cadeau d’un autre masque, réalisé à partir de son propre visage. En 1934, Nabokov publie un poème intitulé L’Inconnue de la Seine.
Dans les années 1950, le Norvégien Asmund Laerdal, fondateur d’une société de jouets spécialisée dans des poupées en plastique mou, s’intéresse à la jeune femme. Il a l’idée d’utiliser son savoir-faire pour proposer des mannequins aux futurs secouristes apprenant les techniques de réanimation cardio-pulmonaire. « Un mannequin de taille humaine et d’apparence très réaliste permettrait aux élèves d’être davantage motivés pour apprendre les techniques de réanimation. Touché par l’histoire de cette jeune femme décédée à un si jeune âge, il fit modeler un visage à partir du masque mortuaire pour son nouveau mannequin d’enseignement, Resusci Anne », explique la compagnie.
Lancée en 1960, Resusci Anne, le mannequin, célèbre ses 56 printemps. Bien que souvent modernisé, il conserve la même apparence. L’Inconnue de la Seine est entrée quant à elle dans la légende, portée par des écrivains romantiques. Les suppositions autour de la mort de la jeune femme laissaient penser à un amour impossible l’ayant poussée au suicide. Aujourd’hui, elle est devenue la femme la plus embrassée du monde. Cette histoire vous a plu ? Venez suivre l’évolution de l’impression à travers l’Histoire, des premières machines aux imprimantes 3D.
Par Margaux Carpentier, le
Source: Le Monde
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