The Square, lauréat de la Palme d’Or du 70e Festival de Cannes, sort ce mercredi 18 Octobre dans les salles. Cette oeuvre incisive et mordante, qui dénonce la monétisation dérégulée de l’art et l’hypocrisie humaine, nous invite à nous interroger sur la faculté de l’être humain à ôter ce masque de classe sociale qu’il arbore jours et nuits. 

 

L’hypocrisie des nantis

Christian (Claes Bang) est le conservateur d’un musée d’art contemporain suédois à qui tout sourit : les femmes défilent dans son lit et son établissement resplendit par l’audace et la provocation des oeuvres qu’il expose. Il est l’archétype de ce que nombre d’activistes de tous horizons appellent le « White Privileged Man », comprenez l’homme blanc privilégié. Enfermé dans ses certitudes, condescendant avec celles et ceux qui ne partagent pas son avis, il jouit d’une autorité supérieure à celle de ses concitoyens. Sa suffisance est telle qu’il en oublie le nom de ses nombreuses conquêtes…

Ce qui ne l’empêche pas de prêcher des valeurs humanistes universelles qui lui sont totalement étrangères : la tolérance et la générosité sont de superbes arguments de vente, mais elles deviennent tout de suite plus encombrantes lorsqu’on essaie de se les appliquer à soi-même… Et la situation devient particulièrement cocasse lorsqu’il doit accueillir l’exposition d’une artiste argentine intitulée The Square. L’oeuvre est un carré de 4 mètres sur 4 où l’égalité et l’altruisme prévaudraient sur les intérêts personnels. Un lieu de rassemblement et d’échange utopique où les classes sociales ne biaiseraient plus notre rapport aux autres. Ce carré incarne le double discours de l’intelligentsia, qui sur le papier promeut le partage et la solidarité, mais qui ne s’implique pas outre-mesure lorsque s’éteignent les projecteurs.

 

L’art, cette vaste blague

Pas besoin de se plonger dans les 2h30 du film pour savoir que Ruben Östlund – le réalisateur – va dézinguer le monde de l’art contemporain : la bande-annonce est suffisamment explicite. Sur fond d’une interview entre la journaliste américaine Anne (Elisabeth Moss) et le conservateur du musée Christian (Claes Bang), vous pouvez admirer les créations originales du musée : un écran diffusant les mimiques faciales d’un homme qui se prend pour un singe – joué par l’exceptionnel Terry Notary qui mériterait une distinction rien que pour son coup d’éclat du gala – de magnifiques tas de gravier disposés sous forme pyramidale et éclairés aux néons blancs…

Vous ne savez pas ce que vous regardez, vous ne comprenez pas ce qu’ont voulu exprimer les « artistes », mais c’est de l’art. Et Christian de poser une question tout aussi déconcertante que les « oeuvres d’art » de son musée : « Si vous prenez un objet et que vous le mettez dans un musée, par exemple votre sac, est-ce que ce serait de l’art ? » Impossible de ne pas nous remémorer les 3 Frères avec leur monochrome de WhitmanIntouchables avec la toile tachée de sang. Au fil du film, le musée de Christian nous apparaît comme une énorme escroquerie, davantage tourné vers le profit et la monétisation que l’expression véritable du génie créatif : le conservateur est corrompu jusqu’à la moelle, tout comme le monde dans lequel il évolue.

 

Le retour de bâton

Christian est un goujat, le stéréotype même de l’intellectuel imbu de sa personne, esclave de son environnement et de ses fréquentations, le tout sous couvert d’une ouverture d’esprit à toute épreuve. Mais comme dirait Ribéry : « La routourne va tourner ». Cette formidable justice naturelle que l’on nomme le Karma va se charger du beau quadragénaire à qui tout souriait : le vol de son portable et de son portefeuille lors d’une fausse altercation scénarisée va signer sa descente aux enfers.

Ce fâcheux incident – on est quand même loin du vol avec violence caractérisée – va entraîner notre héros dans une spirale infernale qui va le conduire à expérimenter tout un tas de désagréments qu’il pensait être l’apanage du bas-peuple : performances sexuelles décevantes, problèmes d’autorité avec ses bambins… Il va même jusqu’à s’improviser justicier raté pour récupérer ses biens ! Une déchéance sociale sur fond de crise existentielle qui dessine un troublant parallèle avec le monde de l’art, gouverné par les apparences et les avis tranchés d’une poignée d’élus sortis de la cuisse de Jupiter.

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