La dépression est une maladie qui touche chaque année deux millions de personnes en France. Si de nombreux traitements existent aujourd’hui (notamment médicamenteux), les origines de cette affliction demeurent obscures. Plusieurs chercheurs se sont penchés sur ce mystère et auraient découvert une piste intéressante de traitement.
Des recherches sur la dépression au niveau cellulaire
Tout est parti d’une interrogation : pourquoi certaines personnes sont sujettes à la dépression et pas d’autres ? Une fois ce problème posé, des chercheurs du monde entier (d’Allemagne, du Canada et de France) se sont interrogés sur l’efficacité parfois relative des traitements existants. L’idée a été donc de percer les mystères biologiques de cette maladie. Le Dr Elisabeth Binder, directrice du groupe de recherche sur la génétique moléculaire de la dépression à l’Institut de psychiatrie Max-Planck de Munich (Allemagne), s’exprime sur le sujet : « Une question centrale qui pourrait aider à mieux définir le risque individuel et la résilience dans les troubles psychiatriques, est de comprendre comment l’environnement (adversité) interagit avec des prédispositions génétiques au niveau moléculaire ».
Plusieurs équipes de chercheurs ont ainsi choisi d’explorer les neurones pour répondre à ces questions. Les équipes françaises et canadiennes du réseau de psychiatrie FondaMental, ont publié leurs résultats en mai dernier dans la revue « Nature Medicine ». Le Dr Eléni Tzavara (Inserm, Paris) pose la base de leur démarche : « Nous nous demandions pourquoi les antidépresseurs mettent deux à trois semaines avant d’agir et aussi pourquoi ils sont inefficaces chez un tiers des patients traités. On s’est dit qu’il fallait peut-être aller en amont des synapses (connexion entre les neurones) et remonter au cœur de la cellule ». Ces recherches ont permis de découvrir le rôle clé d’un marqueur bio-cellulaire : Elk1.
L’importance de la part biologique dans la dépression
Pour comprendre la dépression au niveau biologique, il faut d’abord comprendre une chose : plusieurs facteurs entrent en jeu dans l’apparition de cette maladie. Le Dr Raoul Belzeaux, travaillant à l’Institut des neurosciences de la Timone à Marseille, détaille la complexité de ce fléau. « La dépression est une maladie multifactorielle complexe. Elle peut être très génétique ou très environnementale, sachant que l’environnement agit sur l’expression du génome (épigénétique). » D’où l’importance de la découverte des chercheurs sur le rôle de la protéine Elk1 : La voie biologique intracellulaire que nous avons découverte est assez spécifique de la part biologique de la dépression ».
De fait, l’équipe internationale de chercheurs a fait considérablement avancé les choses. Le Dr Tzavara nous en dit plus à ce sujet. « C’est un mécanisme qui n’a pas encore été décrit. Il y a une dizaine d’années, des chercheurs américains s’étaient intéressés à cette voie, mais ils avaient échoués, car ils n’avaient pas les outils suffisants ». En réalité, ils avaient envisagé l’ensemble d’une cascade biologique alors que la clé reposait sur la voie de la protéine Elk1 (facteur de transcription). D’après le Dr Tzavara, « c’est comme s’ils avaient considéré tout l’arbre alors que nous avons regardé une branche particulière ». Tout l’intérêt de la démarche ici est de mieux soigner la maladie et de remplacer à terme les antidépresseurs.
Une étude sur patients qui confirme cette découverte
Le Pr Bruno Giros (CNRS, Université McGill) s’enthousiasme sur les bienfaits de cette découverte : « Cette approche chirurgicale pourrait nous permettre d’éviter les effets indésirables des antidépresseurs classiques ». Son équipe s’est servie de la banque de cerveaux Douglas-Bell Canada (BCDBC) et a constaté en effet que Elk1 était surexprimé dans l’hippocampe (zone impliquant les émotions) de 30 personnes en dépression qui s’étaient suicidées, alors que ce n’était pas le cas dans celui de 22 cerveaux témoins. Conjointement à Marseille et Montréal, des patients ont été intégrés à l’étude. Selon le Dr Belzeaux, « on arrive à mesurer l’activité de cette voie biologique par une prise de sang, ce qui permet de suivre les variations du biomarqueur en même temps que l’évolution de la dépression ».
Sans surprise, les chercheurs ont observé que la baisse de l’activité de Elk1 témoignait de l’amélioration des symptômes chez des patients sous traitement d’antidépresseurs et d’un risque de rechute lorsqu’elle restait élevée. Le Dr Belzeaux reconnaît toutefois « que ce n’est pas une corrélation absolue, mais c’est une bonne corrélation ». Et il ajoute, incertain, « peut-être que ce marqueur est meilleur chez certains que chez d’autres ». Par ailleurs, un article de 2012, publié par le Dr Gustavo Turecki et ses collègues du groupe d’étude sur le suicide de l’Université McGill, rappelait que pour un certain nombre de personnes manifestant des comportements suicidaires dans un contexte dépressif, de nombreuses données « suggèrent que l’adversité rencontrée tôt dans la vie pouvait accroître le risque de suicide en induisant des changements épigénétiques » (portant sur les systèmes cérébraux de régulation du stress).
Un nouveau médicament agissant au cœur des neurones
Tout n’est pas encore réglé sur la question. D’après le Dr Tzavara, si « on sait qu’Elk1 est beaucoup modifiée par le stress, il va maintenant falloir voir si cette voie est impliquée dans la susceptibilité individuelle de développer une dépression ». Cette découverte pourrait permettre potentiellement d’identifier les personnes à risque de dépression prolongée ou résistante aux traitements. Le Dr Belzeaux souligne lui le caractère dynamique de ce système. « L’hypothèse est qu’un traumatisme altère Elk1, mais si le système s’adapte grâce aux ressources psychologiques de la personne ou aux antidépresseurs, l’individu va surmonter l’adversité. En revanche, s’il ne s’adapte pas, ce sera très difficile de refaire fonctionner correctement cette voie ».
Aujourd’hui, des recherches ont été faites sur des animaux atteints de dépression. Elles ont permis de vérifier l’implication de la voie Elk1 mais aussi de voir qu’il était possible d’agir sur cette voie grâce à un peptide (polymère d’acides aminés), ayant fait l’objet d’un brevet. Les Dr Belzeaux et Tzavara sont pleins d’espoirs : « Le médicament agit au cœur des neurones, ce qui devrait permettre d’être plus spécifique et d’agir plus rapidement que les antidépresseurs qui agissent à la surface des cellules et peut-être en adjuvant (couplé aux antidépresseurs) ».
Cette découverte permet d’envisager une meilleure façon d’appréhender la dépression et surtout de trouver un traitement plus efficace et moins porteur d’effets indésirables. On peut espérer un jour que cette maladie insidieuse et fréquente n’ait plus de secret pour nous et qu’elle soit aussi facilement soignable qu’une bronchite.
Par Thomas Le Moing, le
Source: Le Figaro Santé
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