Lorsque les chutes de neige sont de saison, les autorités compétentes font tout leur possible pour que les conditions météorologiques n’empêchent pas le pays de fonctionner. Salage des routes et déblayage des allées font donc partie des rituels qui rythment logiquement l’hiver. Cependant, même si ces pratiques sont habituelles pour nous, elles n’en restent pas moins dangereuses pour l’environnement.
Le sel, cet élément corrosif dont l’utilisation explose
Utilisé depuis les années 40 aux États-Unis, recourir à du sel en période enneigée n’a fait que croître de manière exponentielle partout dans le monde. À l’inverse du sable, qui se contente d’améliorer l’adhérence sur les routes et les trottoirs enneigés, le sel permet bel et bien de faire fondre la neige. Le gros sel que nous connaissons est extrait des sous-sols dans lesquels les océans préhistoriques ont laissé d’énormes dépôts. Excellent déglaçant, il disloque la glace et la rend soluble. Si sa composition chimique est proche du sel de table, son bas coût en fait un produit massivement utilisé par les gouvernements pour prévenir les accidents et impacter un minimum l’économie du pays… Mais à quel prix ?
En effet, rien qu’en France, on estime la quantité de sel versée entre 750 000 et 1,5 million de tonnes par an. Aux États-Unis, on estime que près de 60 millions de tonnes de sel sont répandues sur les routes chaque année. Des quantités astronomiques qui sont à l’origine de nombreux déséquilibres environnementaux.
Le sel, une catastrophe écologique pour l’eau et les écosystèmes
Cependant, le sel possède en effet une contrainte non négligeable : en faisant fondre la glace, il pollue. Une étude publiée en 2018 recense que 37 % des zones froides et humides du nord-est des États-Unis voient leur salinité augmenter de façon considérable depuis 50 ans. Une responsabilité que les scientifiques attribuent au salage saisonnier des routes. Au-delà des lacs, rivières et autres courants visibles d’eau, ce sont également les écosystèmes qui sont impactés par cette utilisation massive de sel. Une étude datant de 2010 a par ailleurs relevé que 48 % des 125 puits analysés dépassaient les seuils prescrits par l’EPA et que 20 % avaient des niveaux de concentration critiques pour les personnes souffrant de tension artérielle.
Un constat alarmant qui pousse Paul Gallay, président de RiverKeeper et professeur associé de l’Earth Institute, à tirer la sonnette d’alarme : « Le sel n’est rien de moins qu’une bombe à retardement pour l’eau douce. Les études montrent que le sel répandu il y a plusieurs décennies sur les routes, s’étant infiltré dans les eaux souterraines, commence à remonter dans les eaux de surface, d’où l’augmentation des concentrations observées. »
Un problème qui inquiète également l’écologiste Andrew Juhl, qui souligne que le sel peut demeurer longtemps dans les écosystèmes, « s’il pénètre dans le sol ou l’eau, aucun processus biologique ne peut l’en déloger ». Ainsi, une étude réalisée aux États-Unis montre que 84 % des cours d’eau situés en zone urbaine affichent des taux de chlorure en hausse. Un chiffre peu étonnant, mais le sel s’immisce également dans les écosystèmes d’eau douce, ce qui le rend encore plus dangereux et problématique : même à de faibles taux, la concentration de chlorure dans l’eau peut avoir des conséquences désastreuses. Croissances et reproductions peuvent se trouver inhibées, les ressources alimentaires dévastées, et le sel peut interférer avec l’osmorégulation des amphibiens.
Enfin, le risque principal issu du salage est la perte de teneur en oxygène dans l’eau : « Le sel est la cause d’inhibitions des échanges gazeux avec les couches supérieures, a également souligné Andrew Juhl, l’appauvrissement en oxygène affecte les espèces de poissons et d’organismes aquatiques. »
Une nocivité agressive à tout point de vue
En effet, il n’y a pas que l’eau qui subit les conséquences désastreuses de la présence de sel sur les routes enneigées. La végétation hors des voies est comme brûlée, et la repousse des arbres et végétaux au printemps s’en voit dégradée. Si les feuilles des arbres sont roussies et que leurs branches sont particulèrement sèches, il y a une chance que cela soit dû à un salage intensif des routes durant l’hiver.
Les sols qui ont été salés sont également endommagés par cette action : ils ont tendance à sécher, et ce, malgré le fait qu’ils absorbent l’eau, car le sel les a privés d’oligo-éléments. Corrosif, le salage représente également des pertes considérables pour les usagers de la route. En plus de ronger les carrosseries, il dégrade également les infrastructures routières et les ponts. Pour les États-Unis, le coût total a été évalué à près de 5 milliards de dollars de dégradations chaque année.
Il est bien connu que le sel de déverglaçage endommage et pollue : en France, il est par exemple considéré comme un polluant, mais il n’est pas pour autant surveillé dans les bilans sur la qualité de l’eau. Face à une telle urgence, il semble pourtant impératif de trouver des alternatives non agressives et non responsables, qui nous permettraient néanmoins de circuler en toute sécurité l’hiver venu. Comme le souligne Paul Gallay : « Les ravages du sel vont s’aggraver au fil du temps, et la communauté scientifique est effarée de la détérioration des écosystèmes d’eau douce. Il ne s’agit plus seulement d’entendre ce que les chercheurs nous disent mais bien d’agir de toute urgence. »
Par Alice Mercier, le
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