La mangrove est en danger. Cette forêt propre aux régions tropicales, à mi-chemin entre terre et mer, est directement menacée par le réchauffement climatique, la pollution, l’élevage intensif de crevettes, et les coupes de bois. Conscients de l’enjeu écologique mondial qu’elle représente, trois chercheurs du CNRS lui ont consacré un ouvrage collectif destiné à sensibiliser le grand public sur la précarité de la mangrove.

 

Des vertus de la mangrove 

La mangrove est un écosystème à part entière complexe dotée d’une végétation singulière, dont les emblématiques palétuviers, et d’une faune tout aussi exceptionnelle : poissons gros yeux, les crabes violonistes, les ibis rouges, les caïmans à lunettes… Bien qu’elle ne se développe que dans les littoraux de régions tropicales et intertropicales, la mangrove est l’un des 14 grands biomes terrestres recensés par la World Wildlife Foundation. Longtemps perçue comme un environnement hostile voire inutile, la mangrove a regagné ses lettres de noblesse grâce au travail collectif de plusieurs dizaines de chercheurs rattachés au CNRS qui lui ont consacré un livre : Mangrove, une forêt dans la mer.

« Dans certaines régions d’Indonésie, affectées par de puissants cyclones dans les années 90, des chercheurs ont observé que les zones où les dégâts étaient les moins importants correspondaient à celles où les mangroves étaient restées intactes. »

 

François Fromard,

chercheur à ECOLAB

François Fromard fait partie des trois chercheurs du Centre National de la Recherche Scientifique ayant supervisé la rédaction de l’ouvrage qui détaille les rôles essentiels joués par la mangrove. Pour lui, cet écosystème représente bien plus qu’un simple garde-manger – à base de crevette, de poissons et de crabes – et bien plus qu’une réserve de bois nécessaire à la construction d’embarcations et d’habitations : elle est un rempart écologique naturel contre les vents et les vagues.

« Lorsqu’elles sont intactes, c’est-à-dire pas détériorées par des coupes de bois ou des constructions humaines, les mangroves sont comme des écrans qui permettent de casser l’énergie des vents, des vagues et protègent en partie les habitations qui se trouvent derrière. »

 

François Fromard,

chercheur à ECOLAB

Les mangroves méritent d’autant plus notre protection qu’elles constituent des atouts majeurs dans notre lutte perpétuelle contre le réchauffement climatique. Non contentes d’être de gigantesques puits à dioxyde de carbone, elles sont aussi de puissants filtres pouvant retenir certains polluants organiques à base d’azote et de phosphore : « Dans une certaine mesure, elle fonctionne un peu comme une éponge et contribue à dépolluer les eaux qu’elle borde. ». Autant de vertus écologiques et naturelles directement menacées d’extinction par les activités humaines…

Une forêt de mystères qui n’intéresse personne

À Mayotte, la mangrove est un sanctuaire sacré qu’il vaut mieux ne pas profaner. Une légende du pays raconte que les Moina Issa, des esprits à l’apparence de très petites femmes – veillent à la protéger de ceux qui la menacent. Ces êtres surnaturels qui ne se déplacent qu’en bondissant sont réputés pour exaucer les voeux des gens leur offrant  du riz, du miel, du lait ou des bananes. Inspiratrice de cauchemars et de merveilles, la mangrove est aujourd’hui livrée en pâture à la cupidité humaine.

« L’aspect même de la mangrove est un peu mystérieux. Elle n’est pas forcément facile d’accès, son eau est turbide, vaseuse, boueuse, les moustiques sont légion. Dans certaines régions elles inquiètent, représentent un lieu hostile, à éviter. Dans d’autres, elles sont considérées comme un lieu de culte, un endroit protecteur, un écosystème qui offre d’importantes ressources. »

 

François Fromard,

chercheur à ECOLAB

Si l’état de santé des récifs de corail fait partie des sujets environnementaux régulièrement abordés par la presse, celui de la mangrove n’intéresse (quasiment) personne; François Fromard le reconnaît lui-même : « La mangrove fait moins parler d’elle, c’est vrai. D’un point de vue scientifique, les recherches sur les récifs coralliens sont beaucoup plus anciennes et avancées. ». Le fait qu’il s’agisse d’un environnement plus sauvage et moins attractif pour les touristes pèse probablement dans la balance…

La mangrove en péril

Chaque année, 1 % de la surface mondiale occupée par les mangroves disparaît. Un recul directement lié au développement massif de l’élevage de crevettes – ou crevetticulture – en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. Pour aménager les bassins nécessaires à cette activité, les propriétaires n’hésitent pas à défricher d’importantes parcelles de mangrove, tant et si bien que dans certaines régions du monde, la mangrove a quasiment disparu – c’est le cas du Delta du Mekong au Vietnam. En proie à la montée des eaux salées qui menaçait directement les rizières, cette région agricole s’est reconvertie dans l’élevage de crevettes, quitte à empiéter dramatiquement sur le territoire des mangroves…

« L’élevage fonctionne pendant trois, quatre ou cinq ans, puis les rendements baissent. Le bassin est alors abandonné et un autre est créé à côté. Ainsi de suite. Peu à peu, la mangrove perd du terrain. »

 

François Fromard,

chercheur à ECOLAB

Un autre danger qui menace la mangrove, tout aussi préoccupant que l’élevage intensif de crevettes, c’est la déforestation – ou l’abattage de bois en quantités astronomiques. Une pratique particulièrement néfaste pour un écosystème aussi fragile dont la végétation absorbe le CO2 et retient les polluants : « L’urbanisation et les coupes de bois ont aussi un effet désastreux pour les mangroves. À Madagascar, où l’essentiel des forêts primaires a été détruit, c’est désormais la mangrove qui est utilisée pour produire du charbon de bois. »

« L’information, l’éducation et la compréhension du fonctionnement et du rôle des mangroves pourraient également contribuer à leur sauvegarde, tout comme le développement de structures, de mesures de gestion, de protection des mangroves existantes et le reboisement, la replantation de mangroves détruites »

 

François Fromard,

chercheur à ECOLAB

La préservation de la mangrove est un enjeu écologique mondial qui devrait mobiliser les gouvernements du monde entier. Mais un obstacle de taille fait barrage à toute initiative collective : le flou juridique et administratif entourant ces forêts si singulières. « Il arrive que des pays décrètent qu’une mangrove est protégée. Parfois, cela fonctionne, mais dans certains États, les protections sont très théoriques et ne fonctionnent pas. Bien souvent, aussi, le statut des mangroves n’est pas très clair : relèvent-elles du domaine publique ? Du domaine privé ? Doivent-elles être gérées par des forestiers ? ».

La déforestation et l’élevage de crevettes tuent à petit feu cet écosystème qui nous protège – provisoirement – des ravages du réchauffement climatique en absorbant une partie du CO2 ainsi qu’en empêchant le passage de polluant. La mangrove mérite autant l’attention des ONG et des gouvernements que les récifs de corail. Gageons que l’années 2018 sera celle de la prise de conscience.

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